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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/898

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parens, et on leur proposa de faire admettre leur enfant à l’hospice des enfans incurables ; ils acceptèrent. Peu de temps après, ils vinrent le retirer. Ils avaient vécu de son infirmité, et ils ne pouvaient prendre l’habitude de s’en passer.

En dehors de ces cas exceptionnels, les enfans qui mendient se divisent en deux catégories. Les uns mendient pour leur propre compte, parce qu’échappés du logis paternel ils ont besoin de quelques sous pour aller jusqu’au bout de leur journée. Ils fréquentent également la porte des casernes pour obtenir leur part de la soupe des soldats. Avec cette pitance quotidienne et quelques aumônes extorquées de ci et de là, ils peuvent tenir plusieurs jours sans que la faim les force à rentrer au logis. Arrêtés par la police, ils sont immédiatement, et sans intervention de la justice, rendus à leurs parens, dont ils ont à redouter parfois une correction méritée sans doute, mais un peu trop vigoureuse. Ceux-ci sont les moins intéressans, mais non pas les plus nombreux. Les trois quarts des enfans qui mendient ne font qu’obéir aux ordres de leurs parens. Le produit de la mendicité quotidienne de l’enfant est un petit boni régulier qui vient s’ajouter à la journée du père, quand il travaille et n’est pas un ivrogne. Instruits par leurs parens, souvent maltraités s’ils ne rapportent qu’une somme insuffisante, ces enfans finissent par acquérir une grande habileté dans l’art d’exploiter la charité des passans en échappant aux agens. L’un vendra des violettes ou des roses, l’autre du mouron pour les petits oiseaux. Un troisième s’arrêtera à la porte d’un pâtissier en renom, jetant à travers les vitres un regard mélancolique sur les gâteaux ; le moyen qu’une mère qui sort au même moment avec un enfant bien repu ne soit pas émue par le contraste et ne lui fasse pas la charité de quelques sous ? Que cet enfant soit arrêté et fouillé au poste, on le trouvera porteur de bons de pain et de viande suffisans pour faire vivre sa famille pendant plusieurs jours, et d’une somme qui sera relativement considérable. C’est ainsi qu’une somme de trois francs était trouvée l’année dernière dans les poches d’un enfant arrêté sur le boulevard parce qu’il se cramponnait aux jambes des passans en disant qu’il n’avait pas mangé de la journée. Heureux si parmi les objets dont ces enfans sont porteurs on n’en trouve pas quelques-uns de suspects et qui sentent le larcin. Sauf en ce cas particulier, il est très rare qu’il soit donné suite à une arrestation pour mendicité. Sur 222 arrestations opérées en 1877, il n’y a eu que 33 poursuites et 23 condamnations. Cette indulgence n’a en réalité qu’un seul effet : permettre au petit mendiant de prendre l’habitude du vagabondage et de faire son apprentissage du vol à la tire.

Il y a encore une catégorie assez nombreuse d’enfans qui accom-