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L’ENFANCE À PARIS.

pagnent leurs parens lorsque ceux-ci se livrent eux-mêmes à la mendicité. C’est un spectacle d’un effet infaillible lorsqu’on voit assise sous une porte cochère, par une froide journée d’hiver, une mère ayant dans ses bras un enfant de quelques mois placé sur ses genoux et à côté d’elle un ou deux enfans encore en bas âge ; les aumônes pleuvent, et la recette sera très fructueuse. Notez que, dans le quartier où demeure cette femme, il y a très probablement une crèche, certainement un asile où l’enfant pourrait passer la journée au chaud sous la surveillance maternelle des sœurs ; mais que deviendrait la recette ? Les sceptiques vont jusqu’à prétendre que beaucoup de ces enfans sont loués. Je ne voudrais pas répondre que le cas ne se présente jamais ; je dois dire cependant que des recherches assez complètes ne m’ont jamais mis en présence d’un fait de cette nature. Un grand nombre de ces familles de mendians demeurent dans une des rues les plus mal famées de Paris, la rue Sainte-Marguerite-Saint-Antoine. Il y a là un vaste garni qu’on nomme familièrement l’hôtel des Mendians, qui contient près de 100 locataires. On y accède par un couloir tellement étroit que l’homme le plus mince ne saurait y passer de front. Le garni se compose de chambrées et de cabinets. Les chambrées sont pour les travailleurs, charretiers, débardeurs, mariniers qui sont employés le long du canal Saint-Martin. Les cabinets sont réservés pour les mendians et pour l’attirail de leur industrie, instrumens de musique, chiens savans, mauvaises gravures, boîtes en carton, etc. Chacun a une infirmité, trop souvent vraie, parfois simulée, qu’il s’offre à vous exhiber, et cette infirmité est souvent d’un assez bon rapport. Le garni des mendians n’est pas en effet plus misérable que beaucoup d’autres, et de tous ceux que j’ai visités, c’est le seul qui contienne dans une large salle vitrée deux billards en assez bon état. C’est là que les mendians se délassent au retour de leur journée ; l’heure de jeu se paie trois sous, et les gosses (pour leur donner leur nom générique), dès que leurs petits bras s’élèvent à la hauteur du tapis, s’exercent à manier la queue.

Mais, dira-t-on, est-il possible de soutenir que, parmi ces enfans qui mendient dans les rues, il n’y en ait pas un seul qui n’y soit poussé par quelque impérieux et irrésistible besoin, réclamant un soulagement immédiat ? Assurément, lorsqu’il s’agit d’exceptions, on ne peut pas affirmer péremptoirement que tel ou tel cas ne s’est jamais présenté ou ne se présentera jamais ; mais je n’hésite pas à dire, ayant étudié la question de très près et dépouillé un très grand nombre de dossiers, que, sur 100 enfans qui mendient, il y en a 99 qui exercent une industrie habituelle à laquelle ils sont façonnés par leurs parens, et qu’en s’abandonnant à ce sentiment si naturel de ne pas leur refuser un modique secours, on encou-