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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/900

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rage cette industrie avec toutes ses conséquences. Le moyen cependant de se montrer impitoyable et de s’exposer à ce qu’un enfant, fût-ce un seul, se couche sans manger le soir, après avoir tout le jour imploré inutilement la charité des passans ! Le moyen ? Il est bien simple, et il ne dépend que des personnes charitables de l’employer. Il y a à Paris une œuvre trop peu connue, dont le siège est rue Delaborde, no 6, et qui est intitulée : Œuvre de l’assistance par le travail. Cette œuvre se charge de prendre et de fournir des renseignemens sur tout mendiant dont le nom et l’adresse lui sont envoyés, et, après avoir pris ces renseignemens, elle se charge également de faire parvenir des secours si on le désire. En envoyant à cette œuvre l’adresse d’un enfant qui mendie, et en remettant à l’enfant un bon de fourneau économique pour subvenir aux besoins de la journée, on a satisfait aux obligations de l’humanité et on n’a pas encouragé une détestable industrie, pour laquelle on se sent disposé à être encore plus sévère lorsque le hasard vous a rendu témoin des efforts que font certains ouvriers consciencieux pour préserver leurs enfans de la mendicité. Dans un de ces garnis où les enfans vivent en si tristes conditions, j’ai vu par contre une famille composée de quatre enfans et du père : la mère était morte ; le père, sculpteur sur bois, faisait lui-même l’éducation de ses enfans, et à dix heures du soir, le père étant absent, deux des enfans travaillaient à la lueur d’une chandelle fumeuse, et le plus jeune dormait sous la surveillance de l’aîné. En envoyant ses enfans mendier, cet homme aurait pu se faire une recette de 5 à 6 francs par jour.

La mendicité des enfans à Paris avait encore pris, il y a quelques années, une forme assez originale dont on n’a probablement pas perdu le souvenir. Tous les amateurs de musique peuvent en effet se rappeler le temps où ils s’arrêtaient avec plaisir dans les rues et sur les promenades pour entendre des petits Italiens qui, s’accompagnant les uns sur la harpe et les autres sur le violon, chantaient à plein gosier et d’une voix nasillarde ces airs napolitains dont l’écho réveille en nous de jeunes et poétiques souvenirs : la barcarolle de Santa Lucia, ou la romance de Io ti voglio ben assai. Plus d’un peut-être parmi ces dilettanti se souvient d’avoir maudit l’intervention de la police, lorsque ces enfans, interrompus au plus beau de leurs chants, s’enfuyaient à toutes jambes devant elle ; mais il pouvait se consoler lorsque dans le courant de l’été il les retrouvait, plus libres, sur la plage de Dieppe ou de Trouville, chantant au milieu d’un cercle de jeunes femmes élégantes quelques chansons dont elles ne comprenaient peut-être pas la grossièreté. Veut-on savoir quel odieux trafic se cachait derrière ce poétique vagabondage ? Ces enfans étaient presque tous originaires de quelque