Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
897
L’ENFANCE À PARIS.

grand nombre avaient de quinze ans à dix-huit ans. C’est l’âge où la jeunesse commence à bouillonner, où la beauté se développe, où s’affaiblit le souvenir des leçons du catéchisme et de l’école ; c’est l’âge aussi où cesse l’apprentissage et où la jeune fille se trouve mise en demeure de subvenir à ses besoins, et de se mettre résolument au travail. Mais il n’est même pas rare de voir des arrestations opérées en flagrant délit au-dessous de quinze ans. J’ai vu à la préfecture de police le dossier d’une petite fille dont la première arrestation remontait à l’âge de treize ans, et ce n’était pas là un cas exceptionnel et isolé. Cette catégorie des jeunes filles arrêtées pour prostitution clandestine constitue ce qu’on appelle en style administratif la catégorie des insoumises, ainsi appelées parce qu’elles ne veulent pas se soumettre à la formalité de l’inscription et aux obligations que l’inscription impose. C’est vis-à-vis d’elles et contre elles qu’il est fait usage de ce droit discrétionnaire de l’inscription d’office qui est aujourd’hui l’objet de si vives attaques. J’ai voulu me rendre compte par moi-même de la façon dont ce service fonctionne, et, soit en assistant à des interrogatoires, soit en dépouillant des dossiers déjà anciens, j’ai vu défiler plus de 150 cas d’arrestations. Si les personnes charitables qui dirigent contre l’administration de la préfecture de police de si vives attaques avaient la possibilité d’en faire autant, elles auraient d’elles-mêmes laissé tomber de leurs mains la plupart des armes qu’elles emploient, vaincues par la vérité.

Cherchons d’abord où et comment s’exerce cette triste industrie de la prostitution clandestine. Un peu partout, sur les boulevards, dans les rues qui mènent aux endroits fréquentés, sur les promenades, mais en particulier à l’intérieur ou à l’entour des bals publics de bas étage. Quelques-uns de ces bals sont situés au centre du vieux Paris, en pleine rue Mouffetard, comme le bal du Vieux-Chêne, d’autres dans des régions autrefois peu sûres et peu surveillées, comme le bal Émile, qui borde le canal Saint-Martin, le plus grand nombre sur les boulevards extérieurs dont la ceinture environne Paris. Les uns portent un nom vulgaire ou sinistre, comme le bal de l’Ardoise ou le bal de la Guillotine, les autres un nom retentissant ou ambitieux, comme le bar de Mars, ou le bal du Progrès. Dans les plus élégans, l’on n’admet pas les hommes en blouse, et on cherche à exclure par l’élévation relative du prix d’entrée, 50 centimes, la clientèle trop infime ; dans les autres, le prix d’entrée descend jusqu’à 10 centimes. Le plus souvent les danses se paient en dehors, et j’ai lu à l’entrée d’un de ces bals cette pancarte caractéristique : Quadrilles, 15 centimes ; danses de caractère, 10, centimes. Il faut avoir visité ces ignobles lieux de plaisir