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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/130

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La Banque n’avait plus à craindre un retour des fédérés ; vivement refoulés par l’armée française, reculant instinctivement sur les quartiers du centre, regardant déjà avec inquiétude vers les hauteurs de Belleville et des Buttes-Chaumont, ils s’en allaient, suivant leurs maîtres éperdus, qui discutaient entre eux, faisaient des motions, cabotinaient jusque devant la mort, et qui, au lieu de se faire simplement tuer sur leurs barricades, trouvaient moins périlleux d’aller massacrer quelques vieillards à la Grande-Roquette. La rue de Rivoli, l’Hôtel de Ville, l’Octroi, l’Assistance publique, en feu, apprenaient que le comité de salut public s’était réfugié à la mairie du XIe arrondissement, sous la protection de la batterie du Père-Lachaise, qui tirait à toute volée sur la place de la Concorde, les Tuileries et les Halles centrales. La Banque se trouvait sur la trajectoire des projectiles ; plus d’un coup trop long ou trop court vint l’avertir que tout danger n’était point passé pour elle ; des obus effleurèrent ses toits, brisèrent ses corniches ; des balles perdues ricochèrent le long de ses murs, et des biscaïens venus on ne sait d’où cassèrent quelques-unes de ses fenêtres. Ce n’était là qu’un dégât matériel insignifiant, comme presque toutes les maisons de Paris eurent à en supporter pendant la bataille des sept jours.

Le jeudi 25 mai, les rues étaient à peine libres, et déjà cependant le conseil général de la Banque était en séance. Dès que les régens, MM. Durand, Denière, Davillier, Fère, avaient pu passer, ils étaient accourus, et, sous la présidence du marquis de Plœuc, ils délibéraient, ou plutôt ils causaient, car la Banque était sauve, il n’y avait pas de mesure immédiate à prendre, et chacun était préoccupé de cette résistance désespérée que l’on n’avait pas prévue. Dans cette séance, on lut un récit des événemens qui avaient assailli la Banque dans les journées du 22, du 23 et du 24 mai, récit rédigé par M. Marsaud et que les régens écoutaient avec avidité. Cette lecture venait de prendre fin, lorsque M. Rouland entra dans la salle du conseil. On ne se revit pas sans quelque émotion. La séparation avait été courte, mais les circonstances l’avaient rendue cruellement longue, et plus d’une fois avaient failli la rendre éternelle. Le gouverneur remercia avec effusion les régens et le marquis de Plœuc ; il parlait en son nom, mais il était l’organe du gouvernement, qui, de son refuge de Versailles, avait suivi de loin, il est vrai, mais avec anxiété, les péripéties que la Banque avait eues à traverser. « Le devoir seul a retenu les membres qui ont formé le conseil depuis deux mois au poste le plus périlleux ; ils en sont récompensés aujourd’hui que, par le salut de la Banque, se trouve assuré le salut du crédit de la France et de la fortune publique. » Puis la conversation se généralisa, et M. Denière dit : « Le ministère des finances est détruit ; le grand-livre de la dette inscrite est brûlé. — Mais