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Tant qu’il fut dans la rue Lafayette, dans le faubourg Poissonnière, nul ne fit attention à lui. La population, exaspérée par cette longue lutte, par l’incendie, par le massacre des otages, réservait ses fureurs et ses basses insultes pour les bandes de prisonniers que l’on dirigeait sur les prévôtés ou sur Versailles ; elle restait indifférente à la vue d’un seul homme placé au milieu d’une petite escorte. Au coin d’une rue, un groupe de curieux s’approcha ; quelqu’un lui cria : — Comment t’appelles-tu ? — Il répondit orgueilleusement : — Varlin ! — Chacun se regarda comme pour s’interroger ; nul ne connaissait ce nom. Dès qu’il eut franchi les anciennes barrières et qu’il eut mis le pied sur la gibbosité qui porte Montmartre, l’attitude de la population fut modifiée, et le supplice commença. Il était là sur le territoire de l’émeute et du meurtre, sur ce fameux mont Aventin qui avait tant fait parler de lui le 18 mars ; il entrait dans la zone où le général Lecomte et Clément Thomas avaient rencontré la mort que l’on sait. Varlin put rapidement s’apercevoir que les opinions politiques et sociales préoccupent fort peu les gens dont le plus vif plaisir est d’être bourreaux. Dans la rue Ramey, dans la rue Fontenelle, les mégères de Montmartre, suivies de leurs petits, se ruèrent sur le prisonnier, que les soldats eurent grand’peine à protéger. Comme pour le général Lecomte, comme pour Clément Thomas, on criait : — A mort ! à mort ! — On ne sait quel accès de vertu subit avait envahi cette populace qui hurlait : — C’est un assassin ! c’est lui qui a tué l’archevêque ! c’est un incendiaire ! A la torture, il faut qu’il avoue ! — La foule était énorme, plus de deux mille femelles accompagnées de quelques mâles pressaient les soldats, qui hâtaient le pas et s’ouvraient passage à coups de crosse. Varlin était impassible, très pâle, mais très ferme ; on lui jetait des pierres, des ordures, on essayait de le frapper ; on avait crié : — Chapeau bas ! — et un voyou d’un coup de latte lui avait enlevé sa coiffure. Se souvint-il à ce moment du lamentable cortège qui, deux jours auparavant, presque à la même heure, avait gravi la rue de Belleville pour aller s’engouffrer dans la rue Haxo ? Il y était ; il était au secteur, et, dans l’espoir de sauver les otages, il lutta contre Hippolyte Parent, dernier chef de la révolte et cinq fois repris de justice. Il est désolant que ce fait n’ait point été connu, car, sans aucun doute, il eût aidé à protéger la vie de ce malheureux. L’heure n’était point à la clémence. Dans chaque insurgé prisonnier, on voyait un des assassins de l’archevêque, dont le meurtre, plus que tout autre, avait mis les soldats en fureur. La victoire frappait en aveugle, elle frappa Varlin.

La cohue qui l’enveloppait mugissait comme un ouragan ; au milieu des mille clameurs qui composaient son cri, on ne distinguait