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que deux mots : A mort ! On arriva ainsi rue des Rosiers, de sinistre mémoire, auprès du général Laveaucoupet. Les papiers trouvés sur Varlin ne laissaient aucune hésitation sur son identité que du reste il revendiquait hautement : — Oui, je suis Varlin, Louis-Benjamin Varlin ; oui, j’ai été membre du comité central et de la commune ; j’ai été délégué aux finances jusqu’au 22 avril ; puis délégué aux subsistances ; j’ai été directeur de la manutention ; j’ai été adjoint, le 6 mai, à la délégation de la guerre et depuis le 21 je suis intendant en chef de la garde nationale fédérée. » Ces aveux prononcés très nettement, mais avec quelque jactance, entraînaient un ordre d’exécution. On voulut le fusiller dans le jardin, là même où le général Lecomte était tombé. Un officier dit : — Non, pas dans notre quartier ! — On emmena Varlin ; quatre chasseurs, commandés par un adjudant sous-officier, l’entouraient. La foule criait : — Il faut qu’on le promène ; encore ! encore ! Faites-lui faire le tour des buttes ! — On a affirmé que les soldats avaient obéi à cette injonction, c’est faux. Moins de dix minutes après être sorti de la rue des Rosiers, Varlin était mort[1]. On le conduisit au sommet de la colline, à l’endroit d’où l’on découvre la plaine de Saint-Ouen. L’adjudant sous-officier eut la sottise de lui faire une allocution. Varlin, les deux bras pendans le long du corps, se tenait très droit, regardant la foule avec des yeux terribles. Deux soldats s’approchèrent presque à bout portant et voulurent faire feu ; détail horrible, les deux fusils ratèrent. Les deux autres chasseurs tirèrent, il s’affaissa sur le côté et ne remua plus ; une balle, traversant le cœur, l’avait foudroyé. Toute la tourbe battit des mains, comme deux mois auparavant elle avait applaudi en voyant tomber Clément Thomas. Ainsi mourut Varlin pour avoir dédaigné son bon outil d’ouvrier et avoir demandé à la révolte la réalisation de ses chimères.

La façon irréprochablement courageuse dont il mourut fit croire qu’il n’était pas mort, et que la justice sommaire de l’armée s’était égarée sur un faux Varlin. Une lettre fort curieuse que j’ai sous les yeux, écrite par des ouvriers relieurs qui l’avaient souvent fréquenté, dit : « Le Varlin que l’on a fusillé à Montmartre ne peut être le vrai qui, était, par nature, un peu sournois et beaucoup poltron ; depuis treize ou quatorze ans que nous le connaissons, nous n’avons jamais cru chez lui à un acte quelconque de courage ou d’énergie. » Cette observation est sans valeur. On a du reste systématiquement nié la mort de quelques personnages de la commune ; on a été jusqu’à soutenir que Millière, que Delescluze, que

  1. Je sais pas à pas le récit d’un témoin oculaire ; j’y lis : « Je me rappelle aussi qu’après l’exécution je regardai l’heure à ma montre, il était à peine quatre heures. »