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faire disparaître au nom de la justice. Maintenant, au point de vue de l’économie politique, on a ajouté : Qu’est-ce qu’un impôt de 3 pour 100 sur des valeurs qui offrent tant d’avantages, qu’on peut emporter avec soi et transmettre avec la plus grande facilité ? Ce qu’on leur demande est un bien mince tribut qui n’en peut pas troubler l’économie ni arrêter le développement. Et en effet, depuis que l’impôt existe, ces valeurs n’ont pas cessé de s’accroître, et les cours en sont de plus en plus élevés. Il semble donc que l’impôt est bien justifié, et que les craintes qu’on pouvait avoir au début n’étaient pas fondées. Cependant, si on y regarde de près, on trouve qu’il n’est pas aussi inoffensif qu’il en a l’air ; d’abord il y a d’autres valeurs mobilières que celles qui sont sous forme d’actions ou d’obligations ; les parts d’intérêts dans une grande industrie, la possession entre trois ou quatre personnes d’un établissement de commerce, sont bien aussi des valeurs mobilières ; pourquoi sont-elles exemptes de l’impôt du revenu ? Les sociétés industrielles ou financières, qui émettent des actions et des obligations, ont payé comme les établissemens particuliers l’impôt foncier, la taxe des patentes, celle des portes et fenêtres, les droits d’enregistrement ; elles sont soumises en outre à un droit de timbre sur leurs titres ; pourquoi donc leur faire payer encore, par un privilège spécial, l’impôt sur le revenu ? Le petit rentier qui tire 1,000 francs par an de ses valeurs mobilières, actions ou obligations, subit une retenue de 30 francs, et les trois ou quatre grands industriels ou commerçans associés qui se partagent 3 ou 400,000 fr. de bénéfice ne paient rien de l’impôt sur le revenu. Il faut avouer que cela n’est pas de la bonne justice distributive. Nous voudrions demander aussi en vertu de quel principe on exempte la rente sur l’état. C’est, dit-on, pour ménager le crédit public. Si le gouvernement imposait sa rente, elle baisserait, et on lui ferait payer plus cher les emprunts qu’il aurait à contracter dans l’avenir. Cette raison ne suffit pas pour consacrer une injustice ; il est exorbitant que celui qui a 10,000 francs de rente sur l’état ne paie rien, tandis que celui qui n’a que 1,000 francs en obligations de chemins de fer ou autres est grevé de 30 francs par an.

D’ailleurs l’injustice ne profite pas à l’état autant qu’on peut le supposer. Tous les genres de crédits sont solidaires, surtout lorsqu’ils émanent de la même source. Il ne faut pas oublier que l’état a promis une garantie d’intérêt aux obligations de chemins de fer, et si celles-ci, à cause de l’impôt, n’ont pas tout l’essor qu’elles devraient avoir, il est le premier à en souffrir. La garantie ne fonctionne que dans certains cas, lorsque les lignes ne fournissent pas des revenus suffisans poux couvrir les dépenses qu’elles ont occasionnées.