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et le jour même de la mort du grand roi, il fit cerner le Palais de Justice, comme l’avait fait d’Épernon, par le régiment des gardes, qui était devenu la légion prétorienne de la monarchie. La plupart des présidens et des conseillers étaient gagnés d’avance, comme si les coups d’état devaient toujours trouver en France des complices parmi ceux à qui la garde des lois est confiée. Philippe leur demanda la régence pour lui seul, en ajoutant : « J’ose assurer, messieurs, que je saurai la mériter par mon zèle pour le service du roi, par mon amour pour le bien public et surtout étant aidé de vos bons conseils et de vos sages remontrances. » — Le testament fut cassé, Philippe proclamé régent, et quinze jours après il rétablissait le droit de remontrances[1].

Les deux pouvoirs étaient les obligés l’un de l’autre ; dans les premiers momens, ils marchèrent en parfait accord ; mais la bonne entente fut rompue par le système de Law. A côté de beaucoup d’erreurs, ce système contenait sur le crédit public, la mobilisation et la circulation des valeurs, la production de la richesse, des vues justes et neuves dont la science financière moderne a profité. Le régent fut séduit comme les Parisiens, toujours faciles à s’enthousiasmer pour ceux qui font briller à leurs yeux le mirage de bénéfices fantastiques ; seul au milieu de l’engouaient général, le parlement comprit que le régent, qui favorisait les plus aventureuses opérations de Law en croyant organiser le crédit, n’organisait que la banqueroute, et n’enrichissait que les fripons de conséquence. De 1716 à 1721, il ne cessa de signaler par ses remontrances et de condamner par ses arrêts les manœuvres empiriques et souvent frauduleuses à l’aide desquelles le gouvernement s’efforçait, comme on dit aujourd’hui, de soutenir l’affaire.

Le 19 juin 1718, parut sur la refonte des monnaies un édit désastreux qui masquait une indigne escroquerie, sous les apparences d’avantages considérables offerts au public. Le parlement protesta vigoureusement, et le chancelier d’Argenson lui apprit en ces termes comment le régent entendait s’éclairer de ses bons conseils : « Il semble que le parlement a porté ses entreprises jusqu’à prétendre que, sans son aveu, le roi ne peut rien, et que le parlement n’a pas besoin du consentement et de l’ordre du roi pour ordonner ce qui lui plaît. Ainsi, le parlement pouvant tout sans le roi, et le roi ne pouvant rien sans son parlement, celui-ci deviendrait bientôt législateur du royaume, et ce ne serait plus que sous son bon plaisir que sa majesté pourrait faire savoir à ses sujets quelles sont ses intentions. »

Les magistrats n’en continuèrent pas moins d’exercer sur toutes

  1. Sur le coup d’état du régent, Isambert, Anciennes Lois, t. XX, 623,628, XXI, 9.