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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/182

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répondaient les publicistes, une résistance purement passive, qui se borne à l’inaction, à ne pas consentir l’injustice, à opposer non la force qui combat, mais la conscience qui arrête, mais la prière, les supplications, le cri toujours subsistant des lois… » Les écrivains ne se bornaient pas à flétrir les édits de suppression et le maire du palais qui les avait contre-signés ; ils remuaient toute notre histoire pour prouver que les premiers Francs n’avaient jamais subi de pareils outrages, que les libertés de la nation étaient au-dessus de toute atteinte. Le roi, disaient-ils, a cédé à un mouvement de colère, et ils rappelaient cette phrase du Songe du Verger éprit par ordre de Charles V : « La colère des rois est un présent de la mort. » Les mots qui serviront de ralliement aux hommes de 89 : libertés publiques, civisme, droits sacrés de la nation, esclavage, dépôt inaliénable des lois, reviennent à tout instant sous leur plume. Une nouvelle langue s’est formée, et la révolution, qui avait posé ses prémisses dans la magistrature par l’union des classes, a fait un pas en avant.

Des livres qui datent de notre temps même accusent le parlement d’avoir contribué, sous Louis XV autant et plus peut-être que les philosophes à ébranler la monarchie, à briser les ressorts du gouvernement. Mais parler ainsi c’est dire que Louis XV pouvait tout oser sans qu’il fût permis, même aux gardiens des lois, de l’avertir et de se plaindre ; c’est réhabiliter Dubois, Terray, Pompadour, Du Barry, les lettres de cachet, le gaspillage des finances ; c’est admettre, comme l’a écrit Louis XIV, « que la volonté de Dieu est que quiconque est né sujet doit obéir sans discernement, et qu’il y a toujours plus de mal à contrôler qu’à supporter les mauvais gouvernemens dont Dieu seul est juge[1]. » Si les ressorts de la monarchie ont été brisés, c’est qu’en refusant à la nation ce qu’elle demandait de légitime, la royauté l’a poussée à tout exiger et à tout prendre.


III

Louis XVI, en montant sur le trône, était animé des meilleures intentions. Il avait toutes les vertus privées qui manquaient à ses prédécesseurs ; en d’autres temps, elles auraient assuré sa gloire ; mais, comme Louis le Débonnaire, il se trouvait jeté au milieu d’une de ces crises redoutables où les qualités même des rois se

  1. Voir pour les théories absolutistes de Louis XIV formulées par lui-même ses Mémoires, édit. de 1816, t, I, page 57 ; et l’excellente édition de M. Dreyss, 1860, t. II, p. 200,238, 285. En cette matière, le grand roi est parfaitement d’accord avec Bossuet, qui a écrit dans la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte un code de despotisme qui laisse bien loin derrière lui le Prince de Machiavel.