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s’autorisant de la présence du roi, transforma la séance en lit de justice et ordonna l’enregistrement pur et simple. Le duc d’Orléans, qui siégeait comme pair et prince du sang, les conseillers Duval d’Epréménil et Goislard réclamèrent en termes irrités contre cette surprise. Le duc fut exilé le soir même dans sa terre du Raincy, et les deux conseillers enlevés la nuit de leur domicile. Le parlement attendit en silence l’occasion de prendre une revanche éclatante, et le 8 avril 1788, au moment où les emprunts étaient ouverts, il déclara qu’ils étaient illégaux, attendu que l’enregistrement avait été fait par trahison, et que la simple volonté du roi n’était pas une forme nationale. Le 4 mai suivant, d’Epréménil et Goislard rendirent compte à toutes les chambres assemblées des mesures qui avaient été prises contre eux. La cour rédigea séance tenante des remontrances où les ministres étaient fort maltraités. « Si le roi suivait leurs maximes, disait-elle, les rois ne régneraient plus par la loi, mais par la force, sur des esclaves, substitués à des sujets. » La délibération se prolongea pendant la nuit, et sur les onze heures le régiment des gardes françaises entoura le palais de justice, et en ferma toutes les issues comme au temps de d’Êpernon et du régent, car rien n’était changé dans les traditions monarchiques, que le 18 brumaire et le 2 décembre n’ont fait d’ailleurs, que continuer. Le capitaine d’Agoust exhiba des ordres, qui enjoignaient de lui livrer d’Epréménil et Goislard. « Nous sommes tous d’Epréménil et Goislard, répondirent les parlementaires. Si vous voulez les enlever, enlevez-nous tous. » D’Agoust s’arrêta devant cette imposante manifestation, mais en disant qu’il avait l’ordre d’employer la force s’il était besoin. Les deux conseillers se nommèrent, et furent emmenés par les gardes[1].

Dans ces graves occurrences, Louis XVI fit exactement ce que Louis XV avait fait en 1771. Le 8 mai, il tint un lit de justice, et dans le discours d’ouverture il affirma comme toujours son omnipotence absolue. « Le parlement, dit-il, a osé élever l’opinion de chacun de ses membres à la hauteur de ma volonté[2]. Les parlemens de province se sont permis les mêmes prétentions et les mêmes entreprises. Je dois à mes peuples, je me dois à moi-même, je dois à mes successeurs d’arrêter de pareils écarts. » Le chancelier fit connaître ensuite les dispositions d’une ordonnance qui réorganisait l’ordre judiciaire, enlevait le droit d’enregistrement à tous

  1. Cette scène est racontée plus ou moins exactement dans les Histoires de France. Pour s’en former une idée précise, il faut la lire dans le récit même qu’en a fait le parlement Ce récit est reproduit dans les Archives parlementaires, t. I, p. 388 et suiv.
  2. M. Guizot se souvenait, peut-être de cette phrase lorsqu’il disait à la chambre des députés : « Vous n’élèverez jamais vos insultes à la hauteur de mon mépris. »