cet exécuteur des hautes œuvres de Rome, qui se retire, après avoir terrassé l’ennemi de la puissance divine, lentement, majestueusement, dans la pompe splendide d’une procession. De l’excommunication du roi, coupable d’avoir épousé sa parente malgré les défenses canoniques, découlait naturellement l’interdit du royaume, qu’il fallait délier de son prince à tout prix.
Jean-Paul Laurens, dans une seconde page beaucoup plus âpre de ton que la première, mit un acharnement féroce à représenter dans quel effroyable désarroi, dans quel anéantissement pire que la mort, la papauté était capable de précipiter le pays qui lui résistait, qui osait se rebeller contre le ciel. On parle des paysages de Salvator Rosa, de l’énergie sauvage que déploya cet artiste original, amant de la nature farouche, bouleversée ; mais qu’est cette horreur comparée au spectacle de tout un peuple, naïf dans sa foi, attendant devant ses temples fermés l’heure de se réconcilier avec son Dieu, hurlant miséricorde, se déchirant la poitrine au milieu des sanglots ? Qu’est cette énergie comparée au sentiment de haine furieuse que suscite dans l’âme la vue de cette jeune fille morte, couronnée de roses virginales, attendant un fossoyeur qui ne doit pas venir, car le cimetière est clos lui aussi et la terre sainte est défendue aux morts ? En vérité, voilà un sublime paysage. Celui-là n’est pas. fait de roches éboulées, de cavernes infernales, d’épouvantables cataclysmes survenus dans les vallées, sur le haut des monts ; celui-là est fait d’un simple pan de mur, d’une simple croix de bois, d’un simple coin de terre ; mais ce mur, cette croix de bois, cette terre, sont imbibés de larmes, imprégnés de tous les désespoirs, de toutes les misères de la vie, et nul ne les regardera qui ne sente incontinent se mouiller ses yeux.
Du jour où Jean-Paul Laurens eut exposé l’Interdit, il fut manifeste que notre école possédait non pas seulement un peintre d’une vigueur exceptionnelle, mais un penseur hardi, inquiet de voies nouvelles, soucieux de dégager son art des sujets piteux où on le ravale, pour l’élever à des manifestations intellectuelles dignes de lui, plus hautes et plus complètes.
Le salon de 1876 nous montre Jean-Paul Laurens identique à lui-même ; le seul progrès à constater avec François de Borgia devant le cercueil d’Isabelle de Portugal et le Portrait de l’artiste, c’est un parfait équilibre des forces. De la longue pratique du travail, de l’expérience absolue de la palette, de la connaissance entière du sujet traité résulte enfin l’harmonie. Plus de heurts, de disparates, de hasards ; la beauté se dégage naturellement, sans secousses, comme d’elle-même, du dessin, de la couleur, de tous les moyens d’art arrivés à leur épanouissement.