Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frein en silence ; il sentait que le parlement était approuvé de la nation. Soudain, sortant d’une trappe, Nobiling fit son apparition sur la scène de l’histoire, où il avait, pensait-il, un grand rôle à jouer. L’Allemagne entendit un second coup de feu, qui la fit tressaillir ; cette fois l’empereur était grièvement blessé. Aussitôt tout changea de face ; l’émotion prévalut sur le raisonnement, et le Reichstag fut blâmé. On jugea que le moment était venu de le châtier et de le dissoudre. — Nous ne fournirons pas à ces messieurs l’occasion de se réhabiliter, s’écria M. de Bismarck ; nous les renverrons devant le pays avec le stigmate du régicide au front.

La dissolution du Reichstag a été pour M. de Bismarck un vrai coup de partie. Il savait bien qu’après le second attentat il obtiendrait facilement de la résipiscence de cette assemblée le vote de toutes les lois de précaution ou de vindicte qu’il jugerait à propos de lui présenter ; les chefs de la majorité libérale lui en donnaient l’assurance. Mais il a pensé que l’occasion était bonne pour en finir avec une chambre pleine de scrupules et de difficultés qui lui marchandait son appui ; il a voulu mettre à profit les circonstances pour se procurer un parlement plus souple, plus docile, prêt à entrer dans ses vues économiques, à épouser ses nouvelles théories financières et peut-être à proroger indéfiniment le septennat. Qu’il suffit de peu de temps pour changer entièrement les situations ! Au mois de décembre de l’année dernière, après les voyages mystérieux de M. de Bennigsen à Varzin, on s’était flatté qu’un accord avait été conclu entre le chancelier et les nationaux-libéraux et que les chefs de ce parti allaient enfin obtenir des portefeuilles. Le contrat a été résilié, les libéraux ont persisté à faire au chancelier des conditions qu’il jugeait inacceptables. On s’en est pris à M. Lasker, c’est toujours à lui qu’on s’en prend, il inspire à M. de Bismarck une insurmontable antipathie. Aujourd’hui la rupture est consommée. Depuis longtemps le ménage allait mal ; l’homme était impérieux, hautain, cassant, la femme était vétilleuse, fertile en objections, quelquefois acariâtre, sans cesse à cheval sur ses droits ; elle aimait à discourir, à argumenter en forme. On a fini par se séparer ; mais on sait qu’en Allemagne les divorces ne sont pas toujours des événemens tragiques. Les époux divorcés y entretiennent souvent d’assez bonnes relations ; on y a même vu plus d’une fois un mari se promener en public avec ses deux femmes, l’ancienne et la nouvelle, qui, faisant assaut de coquetterie, se disputaient l’honneur de lui plaire.

Cependant les libéraux ont éprouvé tout d’abord une surprise désagréable, des anxiétés assez vives qu’ils n’ont pas réussi à dissimuler. L’événement les prenait au dépourvu. M. Thiers a dit un jour devant la commission des trente : « Le pays est sage, les partis ne le sont pas. » Dans une lettre que M. de Bismarck adressait au comte Arnim