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avec la princesse impériale d’Allemagne, n’avait pas été épargné par la politique de M. de Bismarck, et avait vu son royaume transformé tout simplement par l’annexion en province prussienne. Exilé depuis plus de dix ans, atteint de cécité, il avait su faire respecter une infortune simplement et dignement supportée. Depuis qu’il avait cessé de régner, il était devenu l’hôte de la France, et, par une coïncidence bizarre, c’est à Paris qu’il a eu les funérailles d’un souverain. Ce roi dépossédé, aveugle et bienveillant, hôte d’une république empressée à lui rendre les derniers honneurs, aurait suffi pour prouver que les révolutions populaires ne sont pas les seules qui dépouillent les princes de leur couronne. C’est un des jeux de la fortune dans notre temps ; mais qu’est-ce qu’un vieux roi expirant dans l’exil, disparaissant de la scène, auprès de cette autre jeune victime que la mort vient de choisir cruellement dans toute la grâce de l’adolescence, dans l’éclat du bonheur et du règne à Madrid ?

Rien certes n’est plus pathétique, plus émouvant que cette fin si prompte, si imprévue de la jeune souveraine espagnole. En quelques jours tout a été fini, le mal a fait son œuvre avec une rapidité foudroyante ! La mort s’est acharnée sur cette aimable existence qui commençait. La reine Mercedes, fille de M. le duc de Montpensier, avait à peine dix-huit ans ; il n’y avait pas six mois qu’elle était entrée dans le palais de Madrid, le front ceint de cette couronne que le roi Alphonse avait été charmé et fier de partager avec sa cousine. Ce mariage avait été comme un gracieux roman où le cœur seul avait parlé, d’où la raison d’état et les calculs politiques avaient été bannis ; il avait été salué dans le pays tout entier d’un mouvement spontané de sympathie. Cette reine, qui n’était encore qu’une enfant, avait, aux yeux de beaucoup d’Espagnols, le mérite d’être elle-même une Espagnole, et pour tous elle avait la séduction de la grâce. Le choix du roi avait été ratifié par le sentiment populaire. Tout paraissait sourire à ce jeune couple si bien doué ; tout semblait se réunir pour faire de cette union le gage d’une prospérité durable ! C’était comme la consécration définitive de ce jeune règne, qui en peu de temps, avec le concours d’un habile ministre, a certainement porté d’heureux fruits. Il ne date que de quelques années à peine, en effet, et il a rendu à l’Espagne la paix intérieure, la monarchie constitutionnelle, le régime parlementaire, une armée nouvelle ; il vient d’en finir avec une insurrection qui depuis dix ans séparait presque complètement nie de Cuba de la métropole, qui n’avait fait que grandir dans les dernières révolutions. À cette restauration accomplie il y a quelques années, conduite avec une raison précoce par le souverain, avec une persévérance pleine de dextérité par le premier ministre, à cette restauration l’Espagne a dû de reprendre son rang parmi les puissances régulières, de rentrer dans la voie où tous les progrès sont possibles sans secousses nouvelles. Le mariage du roi semblait