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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/320

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derniers temps, la manière de vivre, les habitudes n’y avaient guère changé ; les étrangers raillaient la sobriété, on disait même la parcimonie florentine. Le Florentin restait indifférent à certaines conditions d’hygiène, à certaines recherches de bien-être qui sont entrées partout dans les mœurs des peuples civilisés. Alors même que l’aisance ne lui manquait pas, il habitait volontiers, loin de toute vue et de toute verdure, une ruelle triste et sombre. Les montagnes voisines sont riches en sources fraîches et pures ; il n’en continuait pas moins à boire sans se plaindre la mauvaise eau des puits qui avaient désaltéré ses ancêtres. L’hiver est froid à Florence ; il y neige, il y gèle souvent ; on y a vu plus d’une fois l’Arno pris à glace d’une rive à l’autre. Pourtant le feu n’était pas dans les habitudes, même chez les gens riches. Un voyageur anglais raconte une visite qu’il fit il y a une vingtaine d’années à Un vieux noble florentin. C’était par un jour d’hiver ; la tramontane soufflait à vous donner l’onglée. M. T.. trouva son ami dans une chambre glaciale, un bonnet fourré sur la tête, enveloppé d’un épais manteau dont le col était retroussé. Le vieillard grelottait et se plaignait amèrement du temps. « Pourquoi donc ne faites-vous pas de feu ? Demande avec surprise M. T… — Oh ! je n’en fais jamais. Le feu, c’est malsain. — Mais quand il fait encore plus froid qu’aujourd’hui, quand l’Arno charrie ? — Je me mets au lit, et j’y reste toute la journée. »

Partout où il y a des bureaux et des cartons verts, il est de tradition que nulle part on ne se chauffe aussi bien que dans les ministères. Que l’on soit en monarchie ou en république, allez donc demander à un employé de ménager le bois du gouvernement ! Aujourd’hui à Rome, dans les bureaux de tous les grands services publics, les poêles ronflent du mois de décembre au mois de mars. Ce sont les Turinois, accoutumés à garder le coin du feu pendant leurs longs et rudes hivers, qui ont apporté ces habitudes d’abord à Florence, puis ensuite à Rome. Il n’en était pas de même en Toscane, au temps du grand-duc. Alors l’usage condamnait à se morfondre ceux mêmes qui, partout ailleurs, jouissent de ces bons feux, à la flamme sonore et claire, qui brûlent aux frais de l’état ; tout au plus leur accordait-on le brasero et quelques pincées de charbon ou de poussier. Alliez-vous dans un ministère le matin, un peu avant l’heure du travail, vous y voyiez rangés dans l’antichambre les scaldini des employas. Aux dimensions de chacun de ces fourneaux, vous pouviez juger de la dignité de son maître. Celui du chef de division était presque un petit poêle ; celui de l’expéditionnaire n’était qu’un réchaud microscopique, à se chauffer le bout des doigts. Quant au ministre, peut-être avait-il une cheminée dans son cabinet ; mais, si c’était un Florentin de bonne race et