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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/330

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si l’on n’avait pas été prévenu. Il est difficile de savoir ce qui se passe dans la tête d’un pendu ; cependant, j’en jurerais, tant qu’il n’a pas perdu connaissance, le misérable doit être occupé à calculer les chances qui lui restent de sentir soudain la corde casser. Florence avait, depuis plusieurs années, la corde au cou ; de jour en jour, le nœud se serrait, il rendait la gêne plus cruelle, l’angoisse plus vive. Par l’effet des surtaxes municipales, la propriété, frappée d’un impôt presque égal à la moitié du revenu présumé, baissait rapidement de valeur ; le capital, auquel la ville demandait le meilleur de son revenu, s’évanouissait et fondait ainsi entre ses mains[1]. L’impôt personnel et mobilier (tassa di famiglia), les droits d’octroi étaient très lourds ; le vie devenait bien plus chère à Florence que dans les cités voisines ; les étrangers l’abandonnaient ; la population diminuait[2]. Malgré la résignation avec laquelle les Florentins supportaient ce fardeau toujours croissant, le déficit augmentait d’exercice en exercice. Si l’on arrivait encore à payer les intérêts de la dette consolidée et les dépenses des travaux qui s’achevaient, c’était seulement grâce à une dette flottante hors de toute proportion avec les ressources réelles de la ville[3]. Les signes les plus clairs annonçaient donc, à bref délai, un dénoûment fatal. Cependant la première prorogation des échéances, en mars 1878, n’avait pas encore ouvert tous les yeux ; on se leurrait de l’idée qu’avant les trois mois écoulés le gouvernement serait intervenu pour tirer Florence d’embarras et lui permettre de reprendre les paiemens au jour fixé. Quand on a lu sur les murs l’arrêté du commissaire royal, le doute n’a plus été permis, même à ceux qui avaient le plus de peine à s’avouer la triste vérité. Alors de toutes parts ont éclaté les cris et les plaintes. L’opinion s’est déchaînée avec une extrême véhémence contre l’ex-syndic, qu’elle avait

  1. D’après le rapport de la commission d’enquête de 1877, la propriété devait payer en 1878 à Florence une surtaxe municipale de 1,92 par livre de l’impôt perçu au profit de l’état sur les bâtimens de toute espèce. Ajoutée au principal de l’impôt, cette surtaxe faisait peser sur le contribuable une charge équivalente à 41,38 du revenu imposable ; avec les mauvaises années et la baisse des loyers, souvent le revenu réel n’est que de très peu supérieur à ce que le percepteur prend au propriétaire.
  2. D’après M. Paul Leroy-Beaulieu (les Finances des grandes villes de l’Europe, dans l’Économiste français du 4 mai 1878), la proportion des dépenses municipales par tête d’habitant était, en 1870, plus forte à Florence que dans toutes les autres villes de l’Europe, Paris excepté (105 francs à Paris, 90 à Florence, 58 à Rome, 46 à Vienne, 36 seulement à Berlin).
  3. Entre 1865 et 1876, la dette flottante a atteint par momens 40 millions de livres ; elle n’a jamais été au-dessous de 30 millions. L’intérêt moyen de cette dette, dans les cinq dernières années, était de 5,37 pour 100. Dans les premiers temps, il avait monté jusqu’à 0,25 pour 100. C’est ce qui résulte du rapport de M. Peruzzi, qui accompagnait la pétition présentée aux chambres en 1876 par la commune de Florence (p. 92).