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docilement suivi pendant si longtemps. Il y a quelques années, elle ne prêtait qu’une oreille distraite aux quelques opposans qui se permettaient de discuter les plans et les budgets de Périclès-Peruzzi, comme l’appelait le Fanfulla, qui joue à Rome, non sans verve et sans esprit, le rôle de notre Charivari. Depuis que la faillite a été déclarée, c’est à M. Peruzzi que s’en prennent tous ceux qui se sentent atteints par ce désastre, et il n’est personne à Florence qu’il ne frappe d’un coup plus ou moins direct. M. Peruzzi est donc devenu le bouc émissaire de toutes les fautes commises. Les esprits étaient si montés que l’on a craint une manifestation injurieuse et, violente ; la questure a cru devoir placer des gardes aux portes de la maison qu’habite celui qui, l’an dernier, était encore l’homme le plus populaire de Florence[1]. C’était, par bonheur, un excès de précaution. Ce peuple florentin est de sens trop rassis, il est trop bien élevé pour se déshonorer par de pareils excès. Quiconque a un peu vécu à Florence ne s’étonnera point de nous entendre parler en ces termes de toute une foule qui contient, comme ailleurs, des élémens tout à fait illettrés. En Toscane, chez l’ouvrier même et le paysan, on sent les effets d’une culture bien des fois séculaire, effets transmis et accumulés par l’hérédité dans le sang et dans les moelles des générations qui, depuis les Étrusques, se sont succédé sur ce sol privilégié.

On reviendra vite, nous n’en doutons pas, malgré les souffrances présentes, au calme et à la justice. Lorsque, dans quelque temps, il faudra reformer, par l’élection, le conseil de la cité, nous ne serions pas étonné que le nom de M. Peruzzi passât de nouveau en tête de la liste. On peut, sans doute, lui adresser quelques reproches ; il a péché par trop d’optimisme. Il n’a pas assez fait entrer dans ses calculs les chances contraires qui pouvaient se présenter ; il a eu trop de confiance dans les ressources de la cité qu’il aimait et qu’il était fier de rendre plus belle encore et plus charmante ; il a ensuite trop compté sur le concours de ses amis politiques, sur la reconnaissance et la générosité de l’Italie ; Il s’est ainsi laissé entraîner ; il n’a pas su s’arrêter à temps, il a poursuivi, avec des moyens insuffisans, des travaux qui, faute de quelques millions, n’ont ensuite pas donné les résultats rémunérateurs que l’on était en droit d’en attendre. Les erreurs commises ne sont aujourd’hui que trop évidentes ; mais aussi, pourquoi les Florentins

  1. Nous empruntons ce détail et d’autres encore aux lettres intéressantes que M. H.-G. Montferrior envoie de Rome au Journal des Débats. Personne n’a mieux parlé de la question de Florence, avec des informations plus précises et un plus juste sentiment des nécessités politiques et du devoir d’équité qui semblaient imposer au gouvernement italien une conduite autre que celle qu’il a tenue.