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de la population parisienne, il faut placer une inspiration bien autrement élevée, celle des esprits réfléchis, des observateurs, des publicistes, qui, sans avoir eu le temps de méditer à fond ces laborieux problèmes, sentaient cependant que la liberté ne pouvait être séparée des traditions tutélaires. Je ne sais si Mallet-Dupan aurait accepté ce titre de conservateur libéral ou de libéral conservateur que nous sommes tenté de lui donner ; le langage politique est si mobile, les appellations des partis sont exposées à des variations si bizarres ! Ce qui est certain, c’est que jamais homme ne mérita mieux ce noble titre. Dès les premiers jours de la révolution, il avait rompu sans hésiter avec l’ancien régime, il avait déclaré que l’ancien régime était mort, effondré, écroulé, qu’il n’en restait rien, pas un élément de force, pas un principe de vie, et il disait éloquemment : « Il est aussi impossible de refaire l’ancien régime que de bâtir Saint-Pierre de Rome avec la poussière des chemins. » — Cependant au-dessus et au-delà de l’ancien régime, non plus dans les formes politiques d’une période, mais dans le cœur même de l’humanité, il y a des forces qui ne peuvent s’écrouler, des principes qui ne sauraient périr. Aux heures de tempête où ces lumières se voilent, la marque des esprits supérieurs est de ne jamais les perdre de vue. Ce fut la gloire de Mallet-Dupan. Parmi les combattans de la révolution, nul n’est resté plus droit, plus ferme, nul n’a plus constamment mérité cet éloge accordé à un des sages du monde antique : Sanus inter ebrios. Au milieu de l’ivresse universelle, ivresse généreuse chez les uns, ignoble chez les autres, il a toujours montré une âme maîtresse d’elle-même. Ni les passions de droite, ni les passions de gauche n’avaient prise sur cette conscience austère, il méprisait tous les préjugés et toutes les fureurs.

Quelle est donc l’éducation qui l’a préparé à ce rôle extraordinaire ? Républicain de naissance, il soutient la monarchie ; protestant, il défend l’église catholique ; Genevois, il se consacre tout entier au service de la France. Il est vrai que cette monarchie, telle qu’il la conçoit, serait une magistrature libérale et tutélaire dans la meilleure des républiques ; il est vrai aussi que l’église catholique, en ce régime nouveau, représenterait avant tout la plus précieuse des libertés, celle qui garantit toutes les autres, la liberté des âmes et des consciences ; enfin, comment ne pas se dévouer à la France, à cette patrie de toutes les idées généreuses, qu’il faut défendre seulement contre ses propres témérités pour que le monde entier profite de ses viriles épreuves ? Nec timide nec temere, voilà la devise de Mallet-Dupan.

C’est précisément cette rectitude d’esprit qui attire sur lui toutes les violences. Les forcenés de 92, on le pense bien, ne ménagent