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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/369

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des députés son admirable discours sur la loi du sacrilège. C’est au nom du christianisme que l’austère philosophe défendait la liberté, c’est au nom du dogme exprimé avec une force incomparable qu’il interdisait à la loi son ingérence impie dans les choses de l’âme et de la conscience religieuse. Qu’on se rappelle ses dernières paroles : « J’ai voulu marquer, en rompant un long silence, ma vive opposition au principe théocratique qui menace à la fois la religion et la société, d’autant plus odieux que ce ne sont pas, comme aux jours de la barbarie et de l’ignorance, les fureurs sincères d’un zèle trop ardent qui rallument cette torche. Il n’y a plus de Dominique, et nous ne sommes pas non plus des Albigeois. La théocratie de notre temps est moins religieuse que politique ; elle fait partie de ce système de réaction universelle qui nous emporte. Ce qui la recommande, c’est qu’elle a un aspect contre-révolutionnaire. Sans doute la révolution a été impie jusqu’au fanatisme, jusqu’à la cruauté ; mais qu’on y prenne garde, c’est ce crime-là surtout qui l’a perdue, et on peut prédire à la contre-révolution que des représailles de cruauté, ne fussent-elles qu’écrites, porteront témoignage contre elle et la flétriront à son tour. » Aujourd’hui que la situation est changée de fond en comble et que le fanatisme s’est déplacé, ne serait-il pas bon de méditer ces avertissemens ? Ces grands principes libéraux ne changent pas ; ce qui change dans notre mobile pays, ce sont les partis auxquels ils s’appliquent. Du haut de sa philosophie souveraine, l’orateur parlait aux vainqueurs de 1825 et aux vainqueurs de l’avenir. Ce langage, si vivement applaudi de la gauche, s’adressait d’avance comme un avertissement à la gauche des jours futurs. A un autre point de vue, le discours de Royer-Collard sur la loi du sacrilège était déjà un discours à double tranchant. Royer-Collard frappait à la fois les libéraux de son temps qui, en insultant la religion, se privaient d’une force incomparable, et les contre-révolutionnaires qui faisaient de cette force divine un instrument de tyrannie.

On dira peut-être : C’est se placer trop haut. La politique ne tend pas à l’idéal. Elle a affaire aux réalités, et aux réalités les plus rebelles, aux passions et aux intérêts. Tout moyen lui est bon pour parvenir à ses fins. Chaque parti a son droit de représailles. Vaincu, on l’a persécuté ; vainqueur, il persécutera : œil pour œil, dent pour dent. — A qui se trace un pareil programme, évidemment il n’y a rien à répondre ; il suffit d’abandonner ces aveugles à la Némésis inévitable. Je dirai seulement à ceux qui traitent notre libéralisme de rêverie, de chimère, d’idéal inaccessible, qu’il est en train de se réaliser de plus en plus malgré les insultes de droite et de gauche. Après Benjamin Constant, on a entendu Royer-Collard, et Royer-Collard devenu vieux n’a-t-il pas eu la joie de saluer les débuts de