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multitude d’objets divers, mais de les faire concourir à la décoration. Les peaux de lion et de chacal et les panoplies de longs fusils, de flissahs et de yatagans, garnissent le haut des parois, et ce ne sont au-dessous que festons de bananes enfilées et de grappes de maïs, et qu’astragales de gerbes de blé et de touffes d’alfa. Cette exposition est organisée avec le goût et la méthode spéciales à la France.

Ce qui est le plus curieux au Maroc, c’est son café établi à l’abri d’une tente sur la terrasse d’une galerie à arcades découpées en flammes ; — du moresque flamboyant ! En dégustant là quelques gorgées de café précipité servi à la turque dans de microscopiques tasses montées sur des coquetiers filigranes, on écoute les mélopées rauques et monotones des musiciens maures. Coiffés du fez ou du turban, vêtus de vestes soutachées et de larges pantalons, ils sont là cinq, accroupis sur un divan. Le chef d’orchestre, un colosse de six pieds, superbe type de boucher turc, joue du violon. Le second musicien pince les cordes d’une mandoline ; le troisième racle un rebec, violon à deux cordes, à dos pansu et à manche recourbé ; le quatrième, un nègre, agite un tambour de basque en chantant d’une voix gutturale ; le cinquième frappe des doigts sur une derbouka, tambour de poterie recouvert d’un parchemin. Sous le café se trouve le bazar où sont jetés pêle-mêle les bijoux de cuivre émaillé, les crucifix à incrustations de nacre, les pipes relevées de filets d’or, les noix de coco sculptées, les babouches de cuir brodées de soie, les flacons d’essence de rose, dont le cristal est historié de lettres arabes, et ces pastilles du sérail, qui, selon le mot de Gavarni, « sentent si bon chez le marchand et si mauvais chez soi. » Mais l’exposition du Maroc n’a pas, comme celle de Tunis, des étoffes, des tapis, des armes et des meubles de prix. Rien n’y sort des vulgaires turqueries que nous connaissons. Et pourtant, malgré qu’on en ait, on s’arrête toujours avec plaisir devant ces boutiques tant le moindre objet y témoigne du sentiment de la décoration et de la couleur. Les ouvriers orientaux mériteraient bien qu’on leur appliquât cette parole de l’Exode : « Ils sont doués d’un grand talent pour faire tout ouvrage de ciseleur, de tisserand et de brodeur. » Il est à remarquer que tous les peuples qui, hormis l’architecture, n’ont point d’art, les Chinois, les Japonais, les Indiens, les Turcs, les Arabes, ont élevé l’industrie jusqu’à l’art. Les objets les plus communs, les plus usuels, ne sont jamais dénués de quelque joli ornement. On brode les babouches de cuir, on cisèle les manches de couteaux, on incruste les crosses de fusils, on damasquine les métaux, on marquette le bois, on modèle les poteries en formes gracieuses, on soutache les vestes, on emploie les couleurs les plus