Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

artistes et savans. L’architecte déployait ses plans pour quelque salle de bain projetée, et, quand elle avait assez longtemps roulé sur les détails somptuaires, la conversation prenait son train vers la philologie, terme de prédilection, sujet inévitable auquel il fallait toujours aboutir. On pesait la valeur des mots, on remontait aux origines, et telle expression proscrite par la bonne compagnie, et repoussée des jeunes mondains comme entachée de grossièreté, allait trouver un avocat passionné dans le maître de la maison, qui n’admettait point qu’en sa présence on manquât de respect au moindre adverbe dont un auteur ancien avait consacré l’usage. Toute littérature qui tire à sa fin ou qui se sent en voie de renaissance remonte à sa source ou cherche à se retremper à l’étranger. A cette heure de caducité que les amateurs du vieux-neuf historique traiteraient volontiers de renaissance, Rome hellénise ; l’empereur Marc-Aurèle parle, écrit en grec, un peu comme, à des siècles de distance, un autre monarque philosophe, le roi de Prusse Frédéric le Grand, écrira en français.

Le naïf avait eu son temps, l’ère s’ouvrait de la virtuosité, du composite :

Tous les monstres d’Égypte ont leur temple dans Rome,


a dit Corneille dans un de ces beaux vers d’image trop rares chez nos grands classiques, d’ailleurs si riches en vers de pensée. Tous les rhéteurs, tous les grammairiens, tous les philosophes d’Athènes, de Smyrne, d’Éphèse et d’Alexandrie avaient dans Rome leurs écoles, leurs villas et même leurs palais, car la plupart de ces beaux esprits faisaient fortune, quelques-uns en arrivèrent à compter par millions de sesterces. Hérodès Atticus, qui fut aussi professeur de Marc-Aurèle, menait une existence de prince ; c’est que les choses avaient beaucoup marché depuis Vespasien, qui le premier imagina de rattacher à l’administration tout ce monde des lettres jusqu’alors assez vagabond et quelque peu bohème, comme nous dirions aujourd’hui. Ces histrions de la veille, devenus professeurs de l’état, touchaient de gros appointemens sur la cassette impériale, et leur titre de fonctionnaires publics leur servait à quadrupler le prix de leurs leçons particulières. En outre, quand ils voyageaient en tournée de conférences, comme nos chanteurs et nos pianistes modernes vont en tournée de représentations et de concerts, c’était à qui leur prodiguerait l’or, les couronnes et la bonne chère. L’empereur Hadrien, de même que son noble et sympathique successeur Antonin le Pieux, ne se contenta point de confirmer ces privilèges, il les augmenta, moins encore par amour des lettres et de la science que par politique et pour resserrer davantage le faisceau de la