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Laissons de côté la métaphysique et le symbolisme, oublions Creutzer et ne voyons que l’invention riante ; tout dans ce récit d’un écrivain de soixante-dix ans respire la jeunesse, mieux encore l’adolescence.

Il semble que ces poètes de l’antique Grèce empruntent à leurs dieux le privilège de ne pouvoir vieillir. Le livre des Métamorphoses a traversé les siècles ; l’épisode de Psyché qui s’en dégage portait en soi la prédestination et conserve même aujourd’hui pour nous le duvet exquis, le parfum et la saveur d’une pêche qu’on viendrait de cueillir sur l’arbre. En le goûtant et m’en délectant, je ne puis me défendre de penser à Manon Lescaut, œuvre d’un esprit également prolixe et qui, au milieu de ses vulgarités, de ses compilations et de ses avortemens, un matin, par occasion et sans le vouloir, crée une merveille. Le romancier met toujours quelque chose de lui dans ses fictions ; on a dit que l’abbé Prévost revivait par maints côtés en Desgrieux, parcourons les Métamorphoses et nous y retrouverons de même Apulée. C’est aux livres d’un auteur qu’il faudra toujours s’adresser pour se renseigner sur les points obscurs de sa biographie. Prenez par exemple l’introduction de l’Ane d’or ; quel pittoresque anecdotique et quel joli tableau de genre avec portrait ! Lucius, parti pour un voyage en Thessalie, est métamorphosé en âne par une magicienne qui le punit ainsi de ses débauches ; et, jusqu’à ce qu’il puisse manger des roses, âne il restera. Sous cette forme nouvelle, Lucius tombe aux mains de voleurs qui, peu après, lui amènent dans leur caverne une belle jeune fille de haute condition. Laissés seuls ensuite à la garde d’une vieille servante, celle-ci, pour distraire sa prisonnière, lui raconte la fable de l’Amour et Psyché. La fable terminée, le récit de Lucius reprend aussitôt. Le fiancé de la noble jeune fille parvient à les délivrer tous les deux ; ils gardent l’âne et lui font la vie douce ; mais à leur mort, le pauvre Lucius recommence une série d’infortunes. Enfin, dans une procession en l’honneur d’Isis, il lui arrive de pouvoir tondre de la langue un bouquet de roses que le grand prêtre tient à la main et de recouvrer à l’instant sa forme première. Sur quoi, il se fait lui-même prêtre d’Isis par reconnaissance. Maintenant, rien n’empêche que ce prêtre d’Isis soit le seigneur Apulée en personne, Apulée, l’ex-compagnon de mauvaise vie, l’ancien pourceau d’Épicure, se relevant par la magie des roses de l’abrutissement bestial où les plaisirs l’avaient plongé.

On sait quel sens mystique l’antiquité attache à la rose, à cette fleur, blanche à son origine et dont un accident d’ordre divin avait teint la robe des couleurs de la pourpre. Tantôt c’était une gouttelette du sang d’Aphrodite blessée au pied par une épine, tantôt une goutte de nectar échappée de la coupe d’Eros ou même simplement