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son sourire ou son baiser qui d’émotion avait fait rougir l’immaculée, tantôt c’était dans le sang d’Adonis que la rose avait pris naissance, pendant que des larmes de Vénus répandues sur cette infortune la pâle anémone était issue. Ælien raconte que la plus belle des hétaïres grecques, Aspasie, avait à la joue, près du menton, une petite excroissance qui la chagrinait ; les médecins et leurs remèdes n’y pouvaient rien ; un jour, prise de désespoir en se regardant au miroir, elle résolut de se laisser mourir de faim ; mais, quand vint la nuit, un songe apporta le salut. La colombe d’Aphrodite, se montrant sous les traits d’une jeune fille, lui conseilla de recueillir les couronnes déposées au pied des statues de la déesse et d’en écraser les roses sur sa joue. Aspasie ayant obéi, le mal disparut, et sa beauté non-seulement reconquit son premier éclat, mais devint bientôt dans l’Hellade le modèle de la perfection. Demandons encore au rhéteur Libanius sa poétique théorie : « Lorsque les trois déesses qui se disputaient le prix de la beauté arrivèrent sur le mont Ida, Hérè et Athénè déclarèrent ne point vouloir entrer en lice aussi longtemps qu’Aphrodite garderait la ceinture où sont renfermées, d’après Homère, toutes les séductions et toutes les magies de la volupté. La déesse répondit que ses deux rivales n’étaient point venues au combat désarmées ; n’avaient-elles donc point, elles aussi, leurs parures : Hérè son diadème enroulé dans ses cheveux, Pallas son casque d’or ? D’ailleurs cette ceinture ensorcelée, cause du débat, elle acceptait de s’en défaire, pourvu qu’on lui permît un autre ornement. Sa requête accordée, Aphrodite s’achemine vers une prairie au bord du Scamandre et prend un bain dans l’eau vive et transparente, puis elle ramasse des lys et des violettes ; mais bientôt les roses l’enivrant de leur parfum, elle en tresse une guirlande et s’en couronne. La voyant ainsi reparaître, les déesses proclament elles-mêmes sa victoire, et, sans attendre l’arrêt du pâtre, elles s’éloignent après avoir de leurs mains pieusement décoiffé Aphrodite de sa couronne, qu’elles portent à leurs lèvres et replacent ensuite sur son front. »

Poète, rhéteur et mystagogue, initié aux secrètes pratiques des sanctuaires égyptiens, Apulée connaissait bien la fleur talismanique, et c’est, on peut le dire, sous l’incantation des roses que son divin petit livre se met en route pour la postérité.

Fuge, quo descendere gestis :
Non erit emisso reditus tibi…


Horace, en adressant cette épître à son livre, savait bien d’avance où il l’envoyait ; l’épicurien de la cour d’Auguste déjà pressentait le public délicat et restreint qui devait se l’approprier à travers les âges.