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grand Florentin, cette œuvre de destruction inconsciente si bien inaugurée jadis pour les dieux d’Homère, par la Psyché du même auteur. Le mot de La Fontaine sur les maladroits amis n’aura jamais été plus vrai, et les musicologues de l’avenir ne manqueront pas d’enregistrer parmi les curiosités les plus rares de notre temps cette ironie du destin qui fait qu’un artiste éprouvé, sérieux, que tout grand idéal préoccupe, un compositeur de la valeur et du rang de M. Thomas, aura sans le vouloir prêté la main aux empoisonneurs de toutes les sources vives, à ces honnêtes gens qui se demandent en ricanant s’il y a dans l’art quelque modèle, quelque chose qui mérite d’être respecté.

Je viens seulement de nommer La Fontaine, mais son regard depuis longtemps déjà parlait au mien. Il est après Raphaël le commentateur par excellence ; nul mieux que le bonhomme n’a compris le sens anecdotique et milésien de cette fable exquise, nul ne l’a mieux dégagée de toute surcharge métaphysique ; c’était assez que le mot grec ψυχὴ (psuchê) signifie âme pour ouvrir la porte aux psychologues, et pour que ce nom de Psyché, comme plus tard le nom de Laure également mystique et symbolique, servît de texte à la paraphrase des lyriques amphigourisans. La Fontaine n’en veut, lui, qu’à la donnée originelle, à ce conte de vieille femme uniquement destiné à divertir une belle enfant et à l’empêcher de pleurer. Que de grâce et de malicieuse ironie dans les deux livres de cette narration délicieuse ! Où découvrir pareil virtuose dans cet art galant, si difficile, de mélanger la prose avec les vers ? Il a l’air de n’y pas toucher, et ses mains sont pleines de trouvailles ; il va comme sans y penser où son humeur le pousse, et ses zigzags le mènent aux plus frais recoins du vallon. — L’entrée en matière est dans le goût de Lulli et de Lenôtre et devrait avoir pour frontispice un Apollon en perruque frisée et justaucorps de satin jouant un pas de bourrée sur son violoncelle. Comme Apulée, La Fontaine crée à son récit des alentours, un paysage, seulement, au lieu de nous montrer l’antique Égypte, le décor ici représente Versailles et ses jardins. Avant de se lancer in medias res, l’auteur met en scène quatre personnages de sa façon, tous poètes et beaux esprits. L’un d’eux, Polyphile, a traduit en français le roman grec, et, pour en donner plus librement lecture à ses amis, leur propose d’aller tous ensemble passer une journée à Versailles. « La partie fut incontinent conclue ; dès le lendemain, ils l’exécutèrent. Les jours étaient encore assez longs, et la saison belle ; c’était pendant le dernier automne. » On commence par visiter la ménagerie et l’orangerie, puis vient l’heure du dîner, et pendant tout le repas il n’est question que des choses qu’on a vues et du monarque pour qui tant de beaux objets sont assemblés :