doute l’élément parisien y prédomine, et cela fleure d’une lieue l’opérette ; mais il y a aussi bien du joli, bien du piquant, et si vous consentez, à ne regarder qu’aux détails, bien du talent. Le malheur veut que toute cette recherche vous laisse froid et même à la longue, vous assomme. Deux erreurs ; ne font pas une vérité, et toutes les curiosités de style imaginables ne font pas le style : qu’on sente donc, une bonne fois son cœur et qu’on l’écoute, ne-fût-ce que quelques instans. Ingénieux et leste à courir au succès, M. Thomas possède un acquis énorme qu’il emploie le plus savamment du monde au service de son affaire. S’il y eut jamais un musicien prompt à se transformer, c’est lui. Depuis tantôt quarante ans qu’il compose, M. Thomas a changé huit ou dix fois de manière, passant de Boïeldieu à Rossini, de Meyerbeer à Verdi, de Schumann à Richards Wagner, tous les styles lui sont bons pendant qu’ils réussissent. Mais ne craignez pas qu’il en invente aucun ; -je me trompe, c’est à lui que revient l’honneur d’avoir inventé l’opérette. En effet, dira-t-on, le Caïd, cette turquerie ? Oui, le Caïd d’abord, mais surtout Psyché, qui, représentée sous sa première forme en 1857, un an avant Orphée aux enfers, donna la note. Une forme nouvelle était née, la parodie du vieil Olympe, et grâce à l’esprit moutonnier de la gent versifiante et musicante, grâce aux mœurs de l’époque, à ce goût du frivole et de l’absurde, du frelaté, qui caractérise si tristement la fin du second empire, les grands ravages pouvaient commencer. Il y a toujours quelque part un Thémistocle que les lauriers de Miltiade empêchent de dormir, l’auteur de cet opéra de Psyché eut son Thémistocle que vingt autres à-leur tour imitèrent, et, le troupeau des faunes lâché, la forêt sacrée, touffue, épaisse, verdoyante fut bientôt dévastée à jamais. La vie parisienne, ayant promené sa lampe de Psyché dans le ciel d’Éros, de Vénus et de Minerve, ne tarda pas à vouloir inventorier l’enfer d’Orphée et d’Eurydice ; avec la Belle Hélène, l’épopée homérique reçut, comme dirait Molière, son paquet. Puis la pastorale dut comparaître, et nous eûmes Daphnis et Chloé ; Virgile et Longus, Arcades ambos, quelle drôlerie ! Restait le moyen âge et son romantisme ; patience, voici venir Geneviève de Braband, Chilpéric, Héloïse et Abélard. Et Venise, vous croyez peut-être que l’ombre de Titien, la protégera, erreur ! Le Pont des Soupirs brilla sur l’affiche, et Venise elle-même, ce beau rêve de l’Adriatique fut jeté en pâture à Turlupin. Je ne vois guère que la Divine Comédie qui jusqu’à présent ait échappé aux entreprises de ce mardi gras ; mais qui pourrait répondre de l’avenir et qui sait si Françoise de Rimini, cette partition en cinq actes dont l’Opéra nous menace, ne renouvellera pas quelque jour, pour l’épopée du
Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/445
Apparence