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Des vers tels que ceux-là devraient être dans toutes les mémoires comme dans tous les cœurs ; rien ne se peut de plus pur, de plus aimable et de plus doux, c’est, en poésie, la grâce, l’émotion, le style des Raphaël et des Mozart.

Il y a, nous le savons, deux classes d’auteurs, ceux qui ne vivent dans la postérité que par leurs œuvres et ce qu’on en lit, et ceux qui prêtent à la légende, et dont à travers les générations l’esprit d’autrui vient grossir le trésor. Chacun y découvre ce qu’il veut y voir et souvent même bien des miracles de fantaisie qui n’ont jamais existé pour les contemporains. Le roman d’Apulée appartient à ce dernier genre, l’écrivain proprement dit compte à peine, et ressemble à ces maîtres de maison qui se dérobent lorsque vous les cherchez pour faire les honneurs de chez eux. La fable n’est pas de lui, le style emprunte le meilleur de ses grâces à l’hellénisme finissant, et cependant cette œuvre d’arrangement a bravé les âges, elle a mieux fait que vivre et survivre, elle a procréé, d’elle sont nées d’autres merveilles, et dans ce palais des génies, dans cette Farnésine qu’a peinte Raphaël, où Corneille, Molière et La Fontaine ont promené leur fantaisie, dont peut-être, qui sait ? un jour quelque Mozart éveillera les échos, le nom d’Apulée de plus en plus s’est obscurci. C’est qu’on ne bâtit pour la postérité qu’avec le style ; ajoutons que ce récit de l’Amour et Psyché n’est point un roman, c’est une légende, une de ces insufflations mystérieuses que l’esprit humain lance à travers les éternels espaces et qui voyagent sans fin au caprice de tous les zéphyrs, colorées, irisées par toutes les aurores. Il s’agit bien en effet d’Apulée ; d’e ce pauvre Romain d’Afrique né sous Trajan, qui s’en préoccupe ? Apulée s’efface dans l’atrium ; parlez à l’Amour !


HENRI BLAZE DE BURY.