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l’annonce de son arrivée avait mis en fuite les Mexicains qui s’occupaient d’enterrer les morts, et Milan levait en toute hâte son camp de la Joya.

On rencontra, à 100 mètres environ du village, évanoui au pied d’un buisson et grièvement blessé, le tambour de la vaillante compagnie. Pris pour mort par les Mexicains qui la veille au soir avaient visité le champ de bataille et jeté parmi les cadavres de ses camarades, le froid de la nuit l’avait réveillé ; il s’était dégagé peu à peu et s’était traîné droit devant lui, jusqu’à ce que la douleur et l’épuisement l’obligeassent à s’arrêter.

Dans la cour de la ferme, le désordre était affreux et n’attestait que trop bien l’acharnement de la lutte ; partout d’énormes plaques de sang desséché, partout le sol piétiné, les murs défoncés ou éraflés par les balles ; puis çà et là des fusils brisés, des baïonnettes et des sabres tordus, des sombreros, des képis, des effets d’équipement militaires, déchirés, en lambeaux, et sur tout cela du sang. Parmi ces débris on ramassa la main articulée du capitaine.

Cependant les cadavres avaient été enlevés ; on les découvrit plus tard séparés en deux tas distincts, ceux des Mexicains au nord, de l’autre côté de la route, ceux des Français dans un fossé au sud-ouest de l’hacienda. Une cinquantaine des Mexicains étaient déjà enterrés ; mais il en restait encore plus de deux cents. Les Français avaient perdu vingt-deux hommes tués dans l’action ; huit autres, il est vrai, moururent presque aussitôt des suites de leurs blessures, et parmi eux le sous-lieutenant Maudet, qui, transporté à Huatesco, succomba le 8 mai. Les Mexicains s’honorèrent eux-mêmes en rendant à ses dépouilles les honneurs militaires. Il y eut de plus 19 soldats et sous-officiers blessés.

Chez les Mexicains comme chez nous, par une particularité curieuse, le nombre des morts fut plus considérable que celui des blessés ; du reste, on remarqua que des deux côtés presque tous les hommes avaient été frappés à la tête ou dans le haut du corps. Quant aux survivans prisonniers, ils suivirent d’abord la colonne mexicaine, parfois traités avec égard, souvent aussi malmenés, injuriés ; mais nous n’avons pas à décrire leur odyssée à travers les villages et les forêts vierges des Terres-Chaudes, sans cesse forcés de fuir avec leurs gardiens devant l’approche des troupes françaises.

Pourtant le bruit de leur héroïque défense s’était répandu dans le pays et avait excité chez tous, amis ou ennemis, une admiration unanime. Les autorités françaises s’occupèrent de leur faire rendre la liberté ; mais dans le désordre incroyable où se débattait alors l’administration libérale, les négociations de cette sorte n’étaient pas aisées à conduire. Après trois longs mois d’attente et de