Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restera, avec une certaine autonomie, sous la suzeraineté du sultan. La politique russe, en faisant une concession plus apparente que réelle, ne sauve pas moins sa création préférée, la Bulgarie du nord, où elle régnera évidemment, où elle aura son centre d’action en Orient. La Russie ne s’en tient pas d’ailleurs à ce seul avantage de créer une principauté semi-indépendante dont elle peut faire son avant-garde ; elle conserve pour elle sur le Danube cette portion de la Bessarabie qu’elle a revendiquée avec obstination comme pour effacer la dernière trace du traité de 1856, qu’elle n’a voulu à aucun prix laisser aux Roumains, ses alliés de Plevna. En Asie, elle cède aux ombrages de l’Angleterre en relançant à Bayazid qui ouvre la route de la Perse, elle retient Kars, Ardahan, de vastes territoires de l’Arménie, et Batoum, dont elle s’engage à faire un port « essentiellement » commercial sur la mer Noire. Somme toute, la Russie n’a cédé que ce qu’elle ne pouvait retenir sérieusement ; elle garde la plus grande partie de ses conquêtes, ses positions, ses moyens d’influence, et cette fois c’est avec la sanction de la diplomatie européenne elle-même qu’elle reste en possession des principaux résultats de sa dernière guerre en Orient.

Puisqu’on se décidait à laisser tant d’avantages à la Russie, que restait-il donc à faire ? C’est en vérité bien simple : il ne restait plus qu’à neutraliser la Russie en l’imitant, — et l’Autriche n’a pas demandé mieux que démarcher à son tour, de faire son entrée dans la Bosnie et l’Herzégovine avec l’autorisation de la diplomatie ! Depuis longtemps l’Autriche méditait ce grand dessein, dont elle poursuivait la réalisation avec un mélange de prudence, de crainte et de ténacité persévérante ; elle arrive enfin au but ! elle a été si accoutumée depuis un siècle à perdre des territoires qu’elle n’a pu résister à la tentation de prendre deux provinces où elle n’a pour le moment qu’à entrer. L’Autriche fait un pas en avant, elle prend position sur cet échiquier troublé. Quant à l’Angleterre, elle s’est visiblement réservé dans l’imbroglio oriental le rôle le plus actif, le plus bruyant et le plus décisif peut-être, À vrai dire, on pouvait bien soupçonner qu’en accédant au congrès de Berlin après ses premiers refus elle avait ses assurances, ses garanties et ses projets. On n’en pouvait plus douter, il y a trois semaines, après la divulgation de ce mémorandum secret du 30 mai où se dessinent déjà les premiers linéamens de la politique que le cabinet de Londres allait suivre, — la garantie réclamée contre des extensions nouvelles de la puissance russe en Arménie, la résolution avouée de ne pas laisser sans protection les territoires ottomans en Asie. Tout cela était écrit, on avait pu le lire dans le mémorandum secret du 30 mai qui a été la préparation du congrès ; mais ce qu’on ne savait pas jusqu’à ces dernier jours, c’est que l’exécution avait suivi de si près la déclaration faite le 30 mai au comte Schouvalof. Ce qu’on ignorait à Berlin peut-