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rangs de profondeur. 400 navires sont jetés à la côte : Fiat voluntasî c’est le mot de Charles-Quint sur le rivage d’Alger. Germanicus, en pareille occasion, voulait se précipiter à la mer. Il avait grandement tort ; les désespoirs des chefs ne remédient à rien. César, sur les rivages de la Grande-Bretagne, montra plus de sang-froid ; Bonaparte, en Égypte, se hâta d’oublier l’anéantissement de sa flotte sur la rade d’Aboukir. Xerxès avait beaucoup fait pour prévenir ce cruel accident. C’était par ses ordres que l’isthme du mont Athos présentait une brèche là où les dieux avaient jeté un isthme ; il ne dépendait pas du fils de Darius de supprimer tous les caps. La catastrophe survenue devait d’ailleurs être entrée dans ses prévisions, car ce n’était pas merveille qu’un naufrage au temps où les Perses envahissaient la Grèce. Confiance ou découragement, qu’importait au destin ? Mieux valait donc ne pas être découragé. Rien ne semble indiquer dans le récit d’Hérodote que le roi des Perses ait songé un instant à l’être. Au bout de trois jours, — c’est généralement la coutume du vent de l’Hellespont, — la tourmente s’apaisa. Les Perses remirent à la mer les nombreux vaisseaux qu’ils étaient parvenus à sauver, puis ils longèrent à la rame le continent, doublèrent le cap Sépias et allèrent s’établir au mouillage des Aphètes, en regard de la rade foraine que les Grecs occupaient avec 233 trières et 9 pentécontores. Les Grecs gardaient ainsi le flanc des Thermopyles et se ménageaient une retraite entre la côte des Locriens et l’Eubée, par le canal de l’Euripe. Un intervalle de quelques milles à peine séparait les deux flottes ennemies.

Un Spartiate, un hoplite étranger au métier de la mer, Eurybiade, commande en chef l’armée navale des Grecs. Toujours, chez les alliés, la jalousie d’Athènes ! La flotte athénienne a pour amiral Thémistocle, élevé récemment à la dignité de navarque et âgé, comme Dumouriez, de plus de cinquante ans. Quand la victoire a déployé son aile, il faut l’agilité des jeunes capitaines pour la suivre. Dans les débuts douteux, si l’esprit d’entreprise a sa place, l’expérience et la ténacité sont plus essentielles encore. L’Angleterre n’a pas eu à regretter que Nelson ne soit venu qu’après Howe et Jervis ; Tourville et Dugay-Trouin ont marché plus sûrement dans le sillon qu’avait tracé Duquesne ; les leçons de tactique de D’Orvilliers n’ont pas été inutiles à Suffren ; De Grasse eût sagement fait de ne les pas oublier.

Les Perses ont déjà enlevé quelques trières isolées, et la côte septentrionale de l’Eubée en a reçu le nom de la reine Artémise. Les bords du Thermodon ne sont pas les seuls à nourrir des Amazones. Veuve et chargée de la tutelle de son fils, la reine d’Halicarnasse avait voulu commander elle-même les cinq vaisseaux fournis par