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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/551

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peu décisif qu’ils s’attendaient à voir le combat se renouveler le lendemain. Beaucoup de vaisseaux perses dont les rames étaient fracassées furent poussés par le vent vers le fond du détroit. Ils y trouvèrent les vaisseaux éginètes. L’escadre d’Égine formait la réserve. L’avait-on chargée de surveiller les 200 vaisseaux qu’on craignait de voir apparaître du côté d’Eleusis ? Tout nous porte à le croire. Mais cette division détachée, dont l’intervention eût assurément fait hésiter le destin, ne se montra pas. C’est surtout à son inaction qu’il faut attribuer la défaite des Perses. Le soir de Waterloo, Napoléon, quand il attendait Grouchy, se vit obligé de contenir le corps de Bulow. Xerxès, au lieu du secours qu’il s’était promis, trouva le fond du golfe occupé par les Éginètes. Tel est le danger de tous les mouvemens excentriques. Manœuvrer à distance est souvent fort habile ; garder toutes ses troupes sous la main est plus sûr.

Les Perses ne furent nullement inquiétés à leur mouillage de Phalère. Ils purent donc y délibérer en paix. Les 200 vaisseaux détachés « pour envelopper en cercle l’île d’Ajax » rallièrent probablement la flotte pendant la nuit. Les Grecs se tenaient prêts pour une seconde bataille. Leur position s’était pourtant singulièrement améliorée, car ils occupaient maintenant l’îlot de Psytalie. S’il y eut « une inspiration de génie » dans la grande journée de Salamine, on doit la chercher là où elle existe réellement, c’est-à-dire dans la décision d’Aristide. Xerxès jugea sainement la situation. Ce qui était perdu, ce n’était pas seulement une bataille, c’était le prestige des armes. Il fallait donner aux esprits ébranlés le temps de se remettre. Si l’on avait eu sujet de douter des Ioniens avant le combat, ces soupçons pouvaient sans injustice prendre plus de consistance après une défaite. Cette armée si hétérogène ne pouvait garder sa cohésion que sous une succession non interrompue de triomphes. Sans la retraite de Moscou et la bataille de Kulm, nous aurions trouvé des alliés plus fidèles en Russie et aux champs de Leipzig. Les seuls soldats sur lesquels Xerxès pût invariablement compter, c’étaient les soldats qui avaient conquis « l’Asie jusqu’au cours de l’Halys et le golfe du Strymon, » qui avaient subjugué a les fières cités de la vaste nappe d’Hellé, la Propontide aux profondes déchirures et les bouches du Pont. » Pour les vétérans de Darius comme pour ceux de Napoléon, l’inconstance du sort ne signifiait rien ; ce n’était qu’une méprise passagère de la fortune.

Xerxès fit appeler Mardonius et Artémise. A la reine il confia le soin de conduire ses fils à Éphèse, à Mardonius celui d’occuper la Grèce. « Que tu vives, lui dit la reine en partant, que ta maison ne soit pas ébranlée, et les Grecs auront plus d’une fois à lutter pour