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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/577

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déception. Préoccupé de meubler son hôtel, l’amateur européen ne cherche, dans les salles de ce vaste bazar, qu’une jolie babiole appropriée à l’emplacement dont il dispose et au ton général de son mobilier. Il voit d’avance le coin obscur où il placera, comme un point lumineux, cet immense cornet de porcelaine, la paroi que viendra égayer cette étagère de laque, le guéridon qu’il fera monter avec ce plat et les panneaux qu’il remplira avec les feuilles détachées de ce paravent. On ne vise pas seulement aujourd’hui, dans l’installation intérieure d’une maison, à l’élégance et au confortable, mais encore au style et à l’originalité. L’ameublement est devenu un art subtil et tout personnel, qui va chercher ses élémens partout où il les trouve. Tous les pays et tous les temps sont requis de contribuer à l’embellissement des demeures opulentes, comme jadis à la somptuosité des festins romains. À ce point de vue, la plupart des objets que l’on s’arrache aux vitrines chinoise et japonaise échappent à la critique. Qu’importe en effet que la pâte de ces faïences soit grossière, le galbe de ces vases difforme, la qualité de ces laques inférieure, si tout cela n’est recherché qu’en vue d’une destination précise et forme simplement une portion d’un ensemble qu’un tapissier habile saura rendre harmonieux, si l’on est sûr enfin que, suivant l’expression usuelle, cela « fera bien » et amusera l’œil.

Chaque pièce ainsi considérée prendra une valeur relative indéterminée qui explique les prix de vente les plus fantastiques. Les tons criards relèveront la monotonie générale d’un salon ; les sujets trop grands dissimuleront la nudité d’une vaste cheminée ; l’incorrection même des dessins et des formes rompra agréablement la froide monotonie d’un boudoir ; toutes sortes de petites inutilités serviront à jeter dans un appartement un piquant désordre. Il n’est pas jusqu’aux machines les plus théâtrales, jusqu’aux plus insignifiantes bagatelles, qui, placées à propos, ne puissent donner à la galerie qui les reçoit une sorte de magnificence exotique ou de laisser-aller imprévu et charmant. C’est ici le cas de répéter avec Boileau :


Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux
Qui par l’art employé ne puisse plaire aux yeux.


Si donc l’exposition japonaise fait le désespoir des collectionneurs bien pensans, elle fera la joie légitime des tapissiers-décorateurs. C’est une clientèle moins sûre, qui change volontiers d’engoûment ; aussi n’est-il que juste, pendant qu’on la tient, de lui faire payer à beaux deniers ses fantaisies d’un jour.