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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

refusent l’entrée du paradis, et, si l’on y regarde de près, la justice divine elle-même était en défaut, quand elle oubliait l’âme du pauvre homme. Le bon Dieu de Béranger, qui met le nez à sa fenêtre, vient en droite ligne de ce Père éternel dont la providence est sujette à sommeiller. La vénération des fidèles n’exclut pas à son égard une familiarité quelque peu compromettante ; mais surtout l’idée qu’ils se font de la bonté infinie de la Vierge l’abaisse parfois jusqu’à des miracles peu édifians en faveur de pécheresses privilégiées. Les mystères sont encore plus hardis, du moins à la fin de leur longue carrière. Comment se figure-t-on aujourd’hui qu’au commencement du xvie siècle l’auteur du mystère des Trois rois ait osé faire tenir à l’ange Gabriel le langage dont s’égayait à bon droit Voltaire[1] ?

La mythologie grecque, divinisation perpétuelle de l’humanité, prêtait bien plus que les légendes populaires du christianisme à ces empiétemens de la réalité la plus vulgaire dans le monde divin, et, par suite, la foi s’en accommodait encore plus facilement. Elle était d’ailleurs, comme on sait, beaucoup plus libre chez les Grecs. En général, le poète comique y représente, à cet égard, la disposition commune de tout le peuple. S’il exagère, s’il grossit les traits, c’est le droit reconnu d’une fête bachique ; c’est aussi que la perspective de la scène n’admet guère les délicatesses de dessin ni de couleur. Dans ce grand théâtre d’Athènes, pour qu’une figure produise son effet, il faut d’abord qu’elle soit vue.

Une analyse complète d’Aristophane, au point de vue qui nous occupe, aurait à passer en revue une riche galerie de personnages. À côté des dieux de tout ordre prendrait place tout ce qui joue un rôle dans la vie religieuse, par exemple les prêtres et les devins. La conclusion commune à laquelle on arriverait pour chaque cas, c’est que, une fois la part faite aux procédés habituels de la comédie, les témoignages qu’on y peut recueillir prouvent plus sur les mœurs athéniennes que sur la pensée particulière d’Aristophane. Ainsi, dans le Plutus, le prêtre de Jupiter sauveur, que son dieu ne nourrit plus faute de sacrifices, l’abandonne pour marcher en tête de la procession qui va installer dans l’opisthodome du Parthénon la divinité toute-puissante de la richesse : est-ce un trait lancé avec intention par un ennemi des prêtres ? Non ; c’est une forme particulière, adaptée au sujet du Plutus, d’une plaisanterie très ordinaire à laquelle les mœurs religieuses semblaient inviter d’elles-mêmes la

  1. Père éternel, vous avez tort,
    Et devriez avoir vergogne :
    Votre fils bien-aimé est mort,
    Et vous ronflez…