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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/608

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REVUE DES DEUX MONDES.

Aristophane, s’il ne fut pas inquiété, c’est que la loi ne l’atteignait pas ; l’accusation d’impiété ne s’adressait pas à lui. Il n’avait pas commis de profanation religieuse, comme Eschyle et Alcibiade furent accusés d’en commettre ; il n’avait pas, comme les sophistes, nié l’action de la puissance divine dans le monde physique ; il n’avait pas, comme on prétendit que Socrate l’avait fait, détourné de rendre aux dieux de la patrie le culte auquel ils avaient droit : il n’était donc dans aucun des cas qui rentraient dans l’accusation d’impiété. Quant à la liberté de ses bouffonneries, elle n’excédait en rien les limites depuis longtemps acceptées par l’usage. Aussi ses ennemis, qui l’avaient attaqué en justice sur un autre chef, comme étranger, ne songèrent pas à le poursuivre comme impie. C’est qu’il avait pour lui la loi comme les mœurs.

Ce n’est pas encore assez que d’absoudre Aristophane au point de vue athénien. Si l’on veut définir la situation qu’il prétendait prendre dans les questions religieuses et qui ne lui était pas contestée, on devra reconnaître en lui avec quelque surprise un défenseur de la religion ; défenseur très fidèle, il est vrai, aux allures de l’ancienne comédie, mais complètement d’accord avec le peuple, et soutenant à sa façon le fonds de croyances et les formes du culte que sanctionne l’état. Enfin la piété fait partie de son patriotisme conservateur.

Il y a lieu en effet de distinguer les bouffonneries mythologiques depuis longtemps permises et que personne ne prenait au sérieux, des vers où le poète marque son attachement à la foi traditionnelle de son pays, et des expressions méditées de sa pensée personnelle. Voici, par exemple, un hymne qui se chante dans une de ses comédies :

« Neptune, dieu des coursiers, toi qui aimes leurs hennissemens et le choc sonore de leurs sabots, et la course victorieuse des galères rapides à l’éperon azuré, et les luttes magnifiques des chars, orgueil et perte des jeunes gens, viens ici dans notre chœur, ô dieu armé d’un trident d’or, ô roi des dauphins, ô fils de Cronos qu’invoque Sunium, qu’adore Géræstos, divinité amie de Phormion et, de toutes aujourd’hui, la plus propice aux Athéniens. »

La note comique, — un trait seulement sur la passion ruineuse des jeunes gens pour les chevaux, — se distingue à peine dans cette invocation à la grande divinité nationale de la mer et des coursiers, qui vient de présider aux succès de Cléon à Pylos et des chevaliers à Corinthe, et qui, quelques années auparavant, inaugurait la guerre du Péloponèse par l’importante victoire navale de Phormion. Tout le public s’associait à cette prière d’actions de grâces, et c’était sans aucun doute un sentiment sincère de religion