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publique qui force de restreindre les dépenses, on n’est prodigue que pour les écoles et les professeurs. Mais ce qui prouve bien qu’il ne faut pas accorder trop de confiance à ce préjugé démocratique que l’instruction est une sorte de remède universel et qu’en la répandant on guérit tous les maux d’un état, c’est que tout cet effort ne parvint pas à retarder la ruine de l’empire et le triomphe de la barbarie.

Pourquoi donc cette éducation fut-elle si peu efficace ? On ne lui reproche guère que l’importance exagérée qu’elle donnait à l’enseignement de la rhétorique. Il est sûr que la rhétorique était le couronnement des études, ou plutôt qu’on n’enseignait guère qu’elle ; mais il ne faut pas oublier qu’il en avait été toujours ainsi. C’est la rhétorique qui faisait le fond de l’éducation publique aux temps les plus brillans des lettres latines, à l’époque la plus florissante de l’empire. Ces grands souvenirs la protégeaient. Elle avait pour elle l’autorité de la tradition, l’exemple du passé, et les esprits du IVe siècle ne pouvaient guère penser qu’ayant été autrefois si utile elle fût devenue dangereuse. Elle n’avait d’ailleurs aucun adversaire ; les chrétiens l’admiraient et la pratiquaient autant que leurs ennemis, ils la conservèrent dans les écoles quand ils y furent devenus les maîtres, et c’est ainsi qu’elle s’est perpétuée jusqu’à nous comme un héritage. La rhétorique a donc été enseignée à peu près de tout temps, et elle a produit, selon les époques, des résultats très opposés.

Ce n’est pas elle, ou du moins elle seule, qu’il faut accuser de la stérilité des esprits et du peu de fruit qu’ils recueillaient de l’éducation ; le mal, à ce qu’il me semble, venait d’ailleurs. Je suis très frappé de voir que sur les vingt ou trente chaires que contenaient ces écoles, il n’y en avait point ou presque point qui fût réservée à l’étude approfondie des questions scientifiques. Tous ces professeurs étaient chargés de répandre ce que d’autres avaient trouvé : leur effort et leur talent consistaient à rendre ce qu’ils savaient accessible à des intelligences ordinaires. Bien des gens pensent encore aujourd’hui que c’est là le rôle de l’enseignement supérieur et qu’il n’en a pas d’autre. C’est une grande erreur : il s’abaisse et s’éteint s’il renonce aux recherches désintéressées de la science. A côté, au-dessus des professeurs qui répandent dans le public les connaissances acquises, il en faut qui travaillent à acquérir des connaissances nouvelles. C’est de là que viennent ces nouveautés fécondes qui sont la vie de l’enseignement. Si les idées et les méthodes ne s’y rajeunissent jamais, le fonds ancien s’épuise ; cette matière, sur laquelle on vit depuis si longtemps, et qui s’use et s’amincit par l’usage, finit par n’être plus une nourriture suffisante pour l’esprit. Quand on n’est pas occupé de pousser plus loin la science,