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lorsqu’on ne songe qu’à l’accommoder au plus grand nombre, on l’émonde, on l’affaiblit, on lui ôte peu à peu ses parties saillantes et originales, on ne lui laisse que ce qu’elle a de plus facile, c’est-à-dire de plus commun. C’est ainsi que dans les écoles du IVe siècle, à force de vouloir la simplifier, on l’avait réduite à n’être plus qu’une mnémotechnie. Ausone, grand partisan de cette méthode, avait mis en quatrains les divisions de l’année, le système métrique, les travaux d’Hercule, les attributions des Muses et toutes les difficultés de l’histoire romaine. C’était un moyen de soulager la mémoire des élèves, mais non de fortifier leur intelligence. Une éducation pareille peut mettre dans la tête des jeunes gens un certain nombre de connaissances précises ; elle ne cultive pas leur esprit, elle ne les rend pas capables de trouver eux-mêmes ce qu’on n’a pas pu leur apprendre. Les hommes qu’elle forme ne sont pas des ignorans, mais ils courent le risque de rester toute leur vie des écoliers.

Paulin était précisément un de ces esprits timides et doux qui sont nés pour être des disciples accomplis. Il se livra tout entier à ses maîtres ; il prit le plus grand plaisir à leurs leçons, il fit tous ses efforts pour les imiter fidèlement. Il est donc naturel que l’éducation d’Ausone ait laissé sur lui une marque ineffaçable. Elle ne contribua pas, comme on pense bien, à lui donner cette fermeté de pensée, cette vigueur de raisonnement, cette force d’invention, qui d’ailleurs n’étaient pas dans sa nature et qui lui manquèrent toujours. Ne lui demandons ni l’érudition étendue de saint Jérôme, ni les vues profondes et nouvelles de saint Augustin. Ce n’est pas là ce qu’on enseignait dans les écoles ; on y apprenait à donner à tout un tour agréable et à dire finement même ce qui ne valait pas la peine d’être dit. Paulin cultiva quelque temps avec un grand plaisir cette littérature légère ; il correspondait avec Ausone, quand il était éloigné de lui ; il lui envoyait de petits présens assaisonnés de petits vers, et ce commerce de futilités les charmait tous les deux. Il s’amusait à versifier le traité des rois de Suétone, pour se donner l’agrément de vaincre certaines difficultés de métrique, et communiquait son travail à son maître. Ausone, excité par l’exemple, lui renvoyait de véritables tours de force, des vers mêlés de latin et de grec, qui commencent et se terminent par les mêmes monosyllabes, ou qui contiennent successivement à la même place toutes les lettres de l’alphabet. Pour étonner son élève, dont il veut être applaudi, il se met l’esprit à la torture[1]. Paulin, que ces jeux

  1. C’est lui-même qui nous l’apprend. Il ne cherche pas, comme d’autres beaux esprits, à dissimuler la peine qu’il se donne. Il reconnaît de bonne grâce, par un bon mot intraduisible, qu’il est plus à plaindre qu’à admirer : Non est quod mireris, sed paucis additis litteris, est quod miserearis.