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Il est vrai que, presque partout, les gouvernemens s’appliquent avec un zèle et une sollicitude dont ils font gloire à réagir contre les tendances d’une civilisation qui sacrifie tout au confortable. Ils prennent sous leur haut patronage le sentiment et l’idéal ; mais, si excellentes que soient leurs intentions, ils font mal un métier qui n’est pas le leur, ils n’ont pas toujours la main heureuse, et l’idéal comme le sentiment ont rarement à se louer des services qu’ils cherchent à leur rendre. C’est en général une froide et triste peinture que la peinture officielle ou gouvernementale, et à notre connaissance aucun homme d’état n’a découvert jusqu’aujourd’hui un moyen assuré de créer de grands artistes et de les contraindre à fabriquer des chefs-d’œuvre. Dans le discours que nous avons cité, lord Beaconsfield, après avoir déclaré qu’à son avis les ministres de sa majesté la reine de Grande-Bretagne et d’Irlande ne faisaient pas assez pour les beaux-arts, s’est empressé de reconnaître que c’est un point délicat, controversé, de savoir comment doit s’y prendre un gouvernement pour faire fleurir l’architecture, la sculpture et la peinturé. « Il y a des gens, disait-il, qui prétendent qu’en pareille matière l’influence du gouvernement est nulle ; d’autres affirment qu’elle n’est pas nulle, mais qu’elle est funeste et désastreuse. Ce qui est positif, c’est qu’il nous est fort difficile, à nous autres ministres qui désirons favoriser le progrès de l’art, de prendre une mesure quelconque dont le succès soit certain ou probable, that is likely to be successful. S’il nous arrive d’ériger une statue à un homme de mérite qui n’est plus, nous pouvons compter que dès le lendemain on en fera la caricature. Si nous acquérons quelque œuvre des grands maîtres du passé dans l’espérance qu’elle deviendra une source d’inspiration pour les peintres contemporains, on ne manque pas de nous démontrer que ce prétendu chef-d’œuvre n’est qu’une copie, et si nous avons le malheur de ne pas l’acheter, on nous accusera avec véhémence d’avoir laissé échapper une occasion d’or. Cependant, ajoutait-il, quelque décourageante que soit cette situation, nous nous ferons un devoir de protéger les arts et les artistes. »

Peut-être ce grand oseur, doué d’un esprit si charmant et si subtil, d’une imagination si vive et si remuante, a-t-il un secret, qu’il nous révélera plus tard ; peut-être réussira-t-il à donner à son pays des Véronèse et des Titien, des Velasquez et des Delacroix, ce qui assurément est une entreprise plus chanceuse que de lui donner l’île de Chypre. En attendant qu’il accomplisse ce miracle, l’Angleterre, comme toutes les autres nations de l’Europe, fera bien de se contenter de ce qu’elle a et de ne pas mépriser le lot qui lui a été assigné et qui n’est point méprisable. Le confortable n’a pas encore