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tué le sentiment, l’industrie et les machines n’ont pas entièrement supplanté les beaux-arts. Si l’exposition universelle de peinture de 1878 est inférieure à celle de 1855, elle ne laisse pas d’avoir son mérite ; parmi les 3,500 tableaux qui, venus de tous les coins de la terre, se trouvent réunis au Champ de Mars, on compte un nombre considérable d’œuvres fortes, distinguées ou intéressantes. Grâce à Dieu, il y a encore des peintres ; quand il n’y en aura plus, le monde deviendra bien triste. Nous admirons comme il convient les machines, et nous souhaitons toute sorte de bonheur aux mécaniciens ; mais la plus belle locomotive, la plus belle moissonneuse à deux roues, le plus merveilleux phonographe, la plus perfectionnée de toutes les machines à coudre ne tiendra jamais lieu d’une petite toile, grande comme la main, peinte avec amour, avec conscience, avec sincérité, par un artiste qui avait quelque chose à dire et qui l’a dit.

Nous serons très court sur la section française de l’exposition, bien qu’elle soit sans contredit la plus considérable de toutes, la mieux fournie, la plus riche en œuvres importantes. Les tableaux qu’on y voit ont figuré presque tous dans les expositions annuelles ; il n’y a pas lieu de les recommander de nouveau à l’attention et à l’admiration du public ou d’instruire une fois encore leur procès. La France ne peut que se féliciter du rôle qu’elle joue dans le concours international du Champ de Mars. Elle est entrée bien armée dans la lice ; pour y remporter la victoire, elle a mis en ligne quelques-uns des chefs-d’œuvre de M. Meissonier, les plus admirables portraits de M. Bonnat, les tableaux d’histoire de M. Jean-Paul Laurens, les scènes orientales de M. Gérôme et les scènes bibliques de M. Gustave Moreau, plusieurs grands paysages de M. Harpignies, dont le dessin est aussi pur et aussi sévère que la composition en est savante, des toiles signées Hébert ou Henner, Carolus Duran ou Jules Lefebvre, pour ne rien dire de bien d’autres artistes, qui se distinguent ou par le sentiment de la couleur, ou par l’étude sérieuse de la nature, ou par l’habileté de l’exécution. La France est fière de ses peintres, elle l’est peut-être encore plus de ses sculpteurs ; ils n’ont pas d’égaux, à peine ont-ils des émules. On est heureux de retrouver au Champ de Mars la phalange serrée de cette école moderne de sculpture qui joint le goût des nouveautés au respect des traditions et à laquelle l’étranger a peu de chose à opposer. Les statues anglaises sont trop habillées, elles s’appliquent par-dessus tout à ne point blesser là pudeur, à être scrupuleusement décentes, elles n’apprendront jamais la noble effronterie du grand art. Les statues allemandes, depuis que Rauch n’est plus, sont trop grasses, trop potelées, il y a de la lymphe dans leur