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renommée à soutenir, les autres sont encore nouveaux dans le métier où ils aspirent à passer maîtres. Les uns ont hérité de leurs ancêtres, une science traditionnelle, des règles, des préceptes, des exemples, qu’ils mettent à profit ; les autres en sont réduits à emprunter la science de leurs voisins ou à ne suivre que leur instinct, qui cherche le succès à tâtons. « Si un homme, disait Voltaire, à qui on sert un plat d’écrevisses qui étaient toutes grises avant la cuisson et qui sont devenues toutes rouges dans la chaudière croyait n’en devoir manger que lorsqu’il saurait bien précisément comment elles sont devenues toutes rouges, il ne mangerait d’écrevisses de sa vie. » Il est certain qu’on peut se passer quelquefois de savoir le pourquoi des choses. L’ignorance, quand le bon sens lui vient en aide, fait souvent d’heureuses trouvailles ; mais les longues expériences sont un guide plus sûr. Aussi les pays qui n’ont point de passé font-ils bien d’étudier le passé des autres ; encore faut-il l’étudier avec discernement, sans abdiquer son indépendance et sans oublier que les méthodes, d’autrui ne sont pas toujours à notre usage. Il est des peuples privilégiés, chez qui les beaux-arts sont un produit naturel du sol, du climat et du génie national ; pour d’autres, c’est comme une plante exotique d’importation plus ou moins récente, qu’ils s’appliquent à acclimater. Commençons notre revue par ces derniers.

La confédération argentine, Guatemala, Haïti, le Mexique, le Pérou, l’Uruguay, Venezuela, ont exposé ou des dessins calligraphiques, ou des scènes de genre, ou des vues panoramiques, ou des portraits ; chacun fait ce qu’il peut. On nous assure que parmi ces portraits il en est qui représentent des présidens, et cela nous explique pourquoi ce ne sont que des ébauches. Dans ces pays, où les révolutions sont si fréquentes, les retouches sont impossibles. Avant que le portrait soit achevé, le président a disparu.

Ce ne sont pas les révolutions qui empêchent le Portugal d’avoir de grands peintres. Cet intéressant petit peuple a des destinées plus paisibles, plus prospères que les états de l’Amérique centrale et méridionale, l’esprit plus posé que ses versatiles et orageux voisins de l’est. Les Portugais se piquent d’avoir du bon sens, d’être les Anglais de la péninsule, ils parlent avec dédain des muchachoa listos de Madrid, des têtes chaudes de l’Andalousie et de cette race ingouvernable qu’ils ont surnommée les Africains de Malaga. En revanche, si l’Espagne a trop de généraux disposés à courir la lucrative carrière des pronunciamientos, elle a des artistes, elle a des peintres ; on le voit bien au Champ de Mars, où l’exposition espagnole a obtenu le plus vif et le plus légitime succès. Le sage Portugal n’a exposé que dix-sept tableaux, et par malheur il