Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’esprit avaient longtemps charmé, y renonça quand il se fut converti. Ses ouvrages deviennent alors plus sérieux ; il y traite des sujets graves, mais dans la façon dont il les traite on sent encore quelquefois l’élève des rhéteurs de Bordeaux. Il avait surtout appris chez eux à bien développer ses pensées : le « développement, » c’est-à-dire l’art de grouper toutes les idées subordonnées autour de l’idée maîtresse et de lui donner de l’importance par ce cortège, est le triomphe de la rhétorique. C’est le moyen par lequel on obtient aisément cette ampleur de style (copia dicendi) qui passait depuis Cicéron pour la première qualité de l’éloquence. Paulin, qui s’y était accoutumé dès sa jeunesse, ne put jamais s’en défaire. Quoiqu’il écrive, il développe, et, comme cette habitude n’est pas de celles que l’âge guérit, c’est dans ses derniers ouvrages que le développement s’étale avec le plus de complaisance. Ce fut toujours le défaut du bon Paulin, dans sa prose et ses vers, d’être interminable.

Mais il ne faut pas oublier que ces défauts qu’on prenait dans les écoles passaient alors pour des qualités. Paulin, qui avait été un écolier modèle, était sûr d’obtenir de grands succès dans le monde. On voit aux complimens que lui fait Ausone qu’il y avait très bien réussi. Il entra de bonne heure dans la vie politique, à laquelle sa naissance le destinait, et dut parcourir rapidement ces fonctions inférieures qui amenaient aux dignités les plus hautes. Ausone était alors assez puissant ; précepteur du jeune Gratien, qui l’aimait beaucoup, il profita de sa faveur pour aider son ancien élève à devenir consul. Après des débuts aussi brillans, Paulin semblait réservé à la plus haute fortune, quand on apprit avec surprise qu’il quittait le monde et renonçait volontairement à tout ce que lui promettait l’avenir pour se donner à Dieu.

Ses biographes ont pris beaucoup de peine pour rattacher sa conversion aux événemens qui troublaient alors l’empiré, et ils ont cherché à nous en faire un récit dramatique. M. Lagrange la raconte d’une manière plus simple et plus vraisemblable. D’ordinaire ce sont les pécheurs endurcis et les incrédules forcenés qui, après s’être éloignés avec éclat des croyances de leur jeunesse, ont besoin de coups de foudre pour y revenir. Paulin ne fut jamais ni un incrédule, ni un grand pécheur. Il avait vécu quelque temps dans ce monde des écoles, qui était en somme un monde honnête et vertueux[1]. Peut-être y était-il devenu un chrétien plus tiède,

  1. C’est ce que nous montrent les ouvrages d’Ausone et surtout la correspondance de Libanius. M. Lagrange a cité quelques phrases d’Ozanam, qui sont très sévères, contre la société païenne de ce temps. Il y est question « de ces patriciens dégénérés qui traînaient en public toute l’infamie de leurs orgies domestiques. » Il y a là beaucoup d’exagération. Ces grands seigneurs païens ne vivaient pas alors comme ceux du Ier siècle ; les livres de Symmaque le prouvent. En tout cas, on pourrait faire des tableaux semblables des riches chrétiens de cette époque avec les sermons de saint Ambroise. Il faut de part et d’autre s’abstenir de ces déclamations qui ne prouvent rien.