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ou gens, les personnages qu’ils mettent en scène n’ont jamais l’air d’avoir été créés pour la circonstance ; nous devinons qu’ils ont une histoire, qu’ils ont subi l’action du temps, cette lime sourde qui use les choses, les hommes, les cœurs et les sourires. Ce qui nous intéresse le plus en peinture, ce sont les meubles qui ont un passé et les âmes qui ont vécu.

On peut adresser aux paysages danois la même critique qu’aux aimables tableaux de genre de M. Exner ; ils sont trop soignés, trop ratissés. On attendait du monde, on a balayé les allées, peigné les arbres, les voilà dignes de figurer dans la cérémonie. Il faut faire exception pour le Jour d’été de M. Kyhn, belle composition fort remarquable. Une vaste clairière qui s’abaisse par une pente douce et qu’entourent d’épais massifs, sur le devant une mare bordée d’un gazon fleuri, un terrain inégal, raboteux, de la profondeur dans la perspective, un grand ciel un peu blanchâtre, un soleil qui n’est pas celui de l’Espagne et qui ressemble, comme le dirait Gautier, à une pâle veilleuse sur la table de nuit d’un malade, voilà bien les beautés tranquilles, les grâces abandonnées et la sérénité mélancolique d’un jour d’été à 54 ou 55 degrés de latitude nord. Le râteau n’a pas passé par là, ce n’est pas du paysage endimanché.

La section danoise contient encore un grand tableau qui appelle l’attention et dont le sujet est emprunté à l’histoire du Danemark. Le roi Christian II, lequel régna de 1512 à 1523, avait envahi la Suède et s’était fait couronner à Stockholm, où il abattit plus d’une tête. Peu après, la Suède lui fut reprise par Gustave Wasa, et son oncle Frédéric Ier, duc de Holstein, le dépouilla de ses états héréditaires. Plus tard, avec l’aide de son puissant beau-frère, Charles-Quint, il essaya de remonter sur le trône. Il fut battu et enfermé pendant dix-sept ans dans un caveau du château de Sonderborg. On raconte qu’il y passait chaque jour des heures entières à tourner autour d’une table ronde, sur le rebord de laquelle il promenait son pouce. M. Bloch, membre de l’académie de Copenhague, a reproduit grand comme nature cet auguste et mélancolique prisonnier ; on sent que depuis bien des années déjà il tourne en rond autour de sa table et de son idée. Le frottement continuel de son doigt a creusé la pierre, ses pieds ont fini par user le carreau où ils se traînent languissamment. Son vieux serviteur, la tête nue, le front bas, lui avance un fauteuil et semble l’engager à interrompre son éternelle promenade en lui montrant des yeux son frugal repas qui l’attend. Ce roi détrôné, chaussé de pantoufles éculées, coiffé d’une barrette, vêtu d’une chemise en désordre et d’un méchant habit à crevés, représente bien une majesté déchue qui en appelle. Sa démarche est pesante, son