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bourgeoisement, jouer nos maîtres, nos petite maîtres : coram populo. Jouer les ouvertures de la Muette et de Zampa, jouer même du Boïeldieu, c’est assurément un grand effort ; mais en somme cela n’arrive guère que tous les dix ans, et l’on n’en meurt pas. Il est vrai que le ministre des beaux-arts, loin de contredire à cette attitude absolument inopportune, mettait toutes ses grâces à l’encourager : « Ne vous dérangez pas, messieurs, restez chez vous, je vous amène tout mon monde. » N’est-ce point du dernier galant : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers. » M. Bardoux vient de trouver sa variante à ce mot charmant de notre histoire, et, pirouettant sur ses talons, il s’écrie, la rose à sa boutonnière : « Messieurs les Français, jouez les derniers, ou plutôt ne jouez pas du tout. » Nous avions sous la main la société des concerts du Conservatoire, et comme c’était le plus bel atout de notre jeu, nous l’écartons ingénieusement. « L’Europe vous attend au Champ de Mars, la France, qui fait appel à toutes ses forces nationales, compte sur vous, ne bougez pas, voici mes invités ; seulement, pendant qu’ils prennent des sorbets, tâchez, je vous prie, de les divertir un peu en leur jouant quelques bagatelles de votre répertoire ! » Comment M. le ministre des beaux-arts a-t-il pas compris que dans les circonstances où nous sommes la meilleure manière d’honorer la société des concerts était de lui confier publiquement le soin de représenter la France dans ce grand concours instrumental ?

J’admets que des artistes tels que ceux-là échappent à toute admonestation, mais en supposant des répugnances que d’ailleurs on ne s’expliquerait pas, j’ai peine à croire que l’argument patriotique n’en eût point eu raison. Toujours est-il qu’en présence d’une abstention si fâcheuse le premier devoir qui s’imposait au ministre était de réagir, et que la situation réclamait autre chose que des fadaises débitées la bouche en cœur. Le Conservatoire a perdu là une belle occasion de s’affirmer et le ministre une occasion meilleure de témoigner de son aptitude à diriger les corps placés sous sa dépendance. Mais on ne peut songer à tout, et, quand d’illustres desseins vous préoccupent, il est très naturel que certains détails vous échappent. M. Bardoux n’envisage, lui, que les grandes lignes, il entend « relever le niveau de l’art, » et, pour commencer les réformes par le Conservatoire, il s’adresse à la commission du budget et lui demande les fonds nécessaires pour créer… quoi ? devinez, je vous le donne en mille, une chaire d’esthétique ! Une chaire d’esthétique au Conservatoire, voilà ce que Shakspeare appellerait du caviar pour le peuple ! Est-ce avec d’abstraites définitions du beau musical que se forment les Nourrit, les Levasseur, les Duprez ? L’esthétique ! Demandez un peu à M. Faure ce qu’il pense de cet oiseau-là et de son ramage. J’ai connu dans ma vie de très