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effet naturel de l’enseignement national, à considérer la vérité comme un moyen et non pas comme un but. Sauf un certain nombre de physiologistes dont les travaux présentent le caractère des recherches de science pure, on ne rencontre que des inventeurs ou des ingénieurs. Existe-t-il une loi de physique ou de mécanique dont la découverte soit due à un Américain ? C’est que, dans ce pays, les résultats spéculatifs, quelque intéressans qu’ils puissent être, ne touchent personne. On veut des machines capables de gagner du temps et par conséquent de l’argent ; mais l’on ne regarde pas aux moyens. L’invention est-elle, exploitable, on organise une compagnie, on construit une usine et on vend. Si les acheteurs affluent, l’inventeur est un grand homme ; dans le cas contraire, il n’en est plus question.


I

Thomas Edison est peut-être l’exemple le plus frappant de notre époque d’un physicien prodigieusement fécond qui n’ait jamais tenté de recherches abstraites. Doté d’un riche laboratoire d’études par la Western Union Telegraph company, la compagnie télégraphique la plus puissante des États-Unis, il est libre d’entreprendre, sous ces généreux auspices, les expériences les plus coûteuses. Sa subvention est pour ainsi dire illimitée ; il dispose donc de moyens matériels inconnus dans nos premières universités européennes. Et c’est à son seul mérite qu’il doit cette situation exceptionnelle.

Agé de trente et un ans à peine, Edison a déjà produit plus que ce qu’on eût été en droit d’attendre d’une réunion d’inventeurs de premier ordre. Sa découverte la plus récente, le phonographe, aurait largement suffi à illustrer son nom, si ses autres créations ne s’étaient déjà chargées de ce soin. Ce qui frappera certainement ceux qui nous suivront dans la présente étude, c’est que tout ce qui sort du laboratoire de Menlo-Park est en quelque sorte accompli. Comme Pallas sortit tout armée du cerveau de Jupiter, les appareils sortent tout conçus de la tête d’Edison. Graham Bell, qui n’est Américain que d’adoption, nous a fait assister à l’enfantement progressif de son téléphone, dans une communication adressée à la Telegraph Engineers society de Londres. Des tâtonnemens d’Edison, nous ne savons rien. Il n’a pas le loisir de s’attarder à faire le récit de ses labeurs.. Le temps qu’il y consacrerait serait du temps perdu. Et pouvons-nous affirmer avec certitude qu’il ait passé par de bien longues recherches ? Pour avoir parcouru tant de chemin déjà, à un âge si peu avancé, on doit posséder une jambe solide et ne pas faire souvent de faux pas. On concevrait avec peine comment il aurait