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pas tant tardé à prendre son poste de Chypre, et elle se met en devoir d’exercer son protectorat sur les provinces asiatiques de la Turquie. La Russie va sans doute rappeler son armée des bords du Bosphore, et elle n’a plus qu’à s’établir dans ses conquêtes, à Kars et à Batoum comme dans la portion danubienne de la Bessarabie qu’elle a si âprement revendiquée. Les Serbes, les Monténégrins, ont leurs lots, les Grecs réclament à grands cris ce qu’on leur a promis. Des commissions internationales vont être chargées de suivre toutes ces affaires des délimitations nouvelles, des réformes à réaliser, de l’organisation des provinces remaniées ou séparées de l’empire. Bientôt l’œuvre apparaîtra tout entière. Qu’en sera-t-il définitivement de ces combinaisons, telles qu’elles se dessinent dans les protocoles du congrès ou dans les récens débats du parlement anglais ? C’est désormais le problème qui pèse sur l’Europe placée au seuil de cet ordre nouveau qu’elle n’a point appelé, en face de cette situation de l’Orient qui est elle-même l’abrogation ou la transformation complète d’un droit public dont les traités de 1856 étaient restés jusqu’ici la dernière expression à demi respectée.

De l’œuvre d’il y a vingt-cinq ans, il ne reste plus qu’une date rappelée pour la forme dans, les conventions de Berlin. C’est tout ce qui survit, le reste est effacé et va disparaître de plus en plus dans la voie nouvelle où l’on vient d’entrer. Il faut bien appeler les choses par leur nom. Quand on dit que ce qui s’est fait à Berlin est un premier partage de l’Orient, un premier partage risquant de conduire à d’autres partages, rouvrant fatalement une arène où toutes les politiques, tous les intérêts se retrouveront face à face un jour ou l’autre, quand on parle ainsi, on ne dit manifestement qu’une triste vérité. Lord Beaconsfield ne veut pas qu’on se serve de ce mot mal sonnant de partage ; il désavoue le mot et l’idée elle-même. Dès son arrivée à Londres, dans le premier discours qu’il a prononcé devant la chambre des lords pour rendre compte de sa mission à Berlin, il a mis toute son éloquence et son imagination à dégager l’Angleterre, le cabinet dont il est le chef de toute complicité dans une œuvre de dépossession. « Le gouvernement de sa majesté, s’est-il écrié, a toujours été contraire au principe du partage de l’empire ottoman… On nous a élevé sur une haute montagne d’où l’on nous a montré tous les royaumes de la terre, et puis l’on nous a dit : Tous ces royaumes sont à vous si vous voulez le partage ! Nous n’avons pas été de cet avis… » Si lord Beaconsfield a voulu dire que les conditions de Berlin, œuvre de diplomatie et de transaction, sont moins excessives que les conditions de San-Stefano tracées par l’épée victorieuse de la Russie, que l’Angleterre a utilement, efficacement employé son influence pour rendre à la Porte, avec quelques territoires, la possibilité d’une certaine indépendance, d’une certaine cohésion, si lord Beaconsfield a voulu dire cela, rien n’est certes plus vrai.