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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/717

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Malheureusement toutes les illusions, tous les euphémismes sont inutiles dans les affaires sérieuses du monde, et la réalité des choses reste ce qu’elle est.

On peut déguiser jusqu’à un certain point, on ne peut pas effacer complètement le caractère d’une réunion diplomatique ou un empire est appelé à consentir à tout ce qu’on voudra lui imposer, où ses plénipotentiaires, au moindre murmure, à la moindre réserve, sont rudoyés par M. de Bismarck, et d’où au bout du compte la Sublime-Porte sort démembrée, surtout atteinte dans son autorité. L’empire ottoman, il est vrai, n’est plus traversé et pour ainsi dire disloqué par cette Bulgarie que la Russie avait imaginée, qui devait aller du Danube à la mer Egée. Le sultan n’est plus réduit au fameux couloir de communication entre les provinces qui lui étaient laissées. La Bulgarie nouvelle du congrès de Berlin, déjà assez étendue de l’est à l’ouest entre Varna et Widdin, s’arrête au nord des Balkans. Sur un point encore, toutefois, elle franchit les montagnes, elle dépasse Sofia, et lord Beaconsfield a besoin de tout son optimisme pour démontrer que la Bulgarie en allant au-delà de Sofia laisse toute sa force à la ligne de défense des Balkans, dernier rempart des Turcs. Le premier ministre d’Angleterre a vraiment besoin de toute son imagination pour prouver que les territoires enlevés à la Porte et transmis à la Serbie, au Monténégro, à la Bulgarie, à la Roumanie ; sont sans importance, que la ligne des Balkans, même ébréchée, suffira aux défenseurs de Plevna, que Batoum, où la Russie va entrer, est un port sans valeur, et que tout cela ne ressemble en rien à un partage. C’est le sort de la guerre, dira lestement lord Beaconsfield ; tous les états ont perdu des provinces, des territoires précieux, et ils n’ont pas péri, ils ne se sont pas considérés comme partagés ! Assurément il y a dans le monde des états, des nations qui ont subi les rigueurs de la fortune et qui, avec le ressort intime de leur puissance, avec les moyens de se relever, gardent leur foi dans l’avenir. L’Autriche, l’Angleterre aussi bien que la France ont perdu des provinces et n’ont pas péri pour une défaite. La Prusse, avant de devenir l’Allemagne, a eu de cruels momens où elle a paru près de disparaître, et elle a vécu assez pour retrouver des réparations dépassant ses espérances. L’empire ottoman, que le chef du cabinet anglais lui-même, ne met sûrement pas au rang des puissances faites pour les glorieuses revanches, l’empire ottoman ne perd pas seulement des provinces ; dans ce qui lui reste, il garde à peine une ombre d’indépendance, une apparence de souveraineté. Il est assailli, enveloppé de protectorats, de surveillances, de tutelles menaçantes, d’occupations qui peuvent se changer en annexions, et si, selon le mot de lord Beaconsfield, le sultan continue à « être une partie du système politique de l’Europe, » c’est à la condition d’être le souverain le plus subordonné,