Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/778

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croire généralissime. Cela ne dura pas, il fit tant de sottises, il commit tant de bévues que Cluseret le remplaça par Dombrowski. Bergeret ne fut point content : il fit remarquer qu’il était membre de la commune pour le XXe arrondissement, qui lui avait donné 15,290 voix, sur 16,792 votans et 21,960 électeurs inscrits, il refusa d’obéir et de céder son commandement ; il fut arrêté et somptueusement détenu à l’Hôtel de Ville, dans les anciens appartemens du préfet, où il menait une plantureuse existence au milieu de quelques amis et de beaucoup de bouteilles. Sa disgrâce ne dura pas. Le 29 avril, l’incapacité militaire dont il avait donné des preuves réitérées le fit nommer délégué à la commission de la guerre ; le 6 mai, il fut pourvu d’une brigade de réserve et reçut le Corps législatif pour quartier général. On l’accuse d’avoir conduit quelques expéditions moins périlleuses que sa sortie du 2 avril ou que sa grande marche sur Versailles tentée le lendemain ; on prétend que deux bateaux chargés de vins amarrés à Billancourt furent pillés par son ordre et qu’il fit enlever une somme de 57,000 francs à la gare du chemin de fer de l’Ouest. Il avait sans doute besoin d’argent parce qu’il aimait à bien vivre ; Varlin se plaignait avec amertume d’avoir eu à payer, en quinze jours, 30,000 francs pour frais de nourriture de Bergeret et de ses officiers d’état-major. Malgré cela, ce Bergeret ne dédaignait pas les petits profits : il avait obtenu pour la femme qui portait son nom la fourniture des sacs à terre destinés à la construction des barricades ; cela lui était fort commode : de la même plume il ordonnait et il ordonnançait. Il faut croire que ses opérations n’étaient point irréprochables, car la commune finit par s’en émouvoir : « 11 mai 1871 : Il ne sera délivré dorénavant de sacs à terre, dans le service que dirige le général Bergeret, que sur la vue de la signature et du cachet officiel du citoyen Delescluze, délégué à la guerre, commandant supérieur des forces nationales, et du colonel Ed. Roselli, directeur du génie. Le délégué civil à la guerre : Delescluze. » C’était un acte de suspicion désagréable ; tout autre eût donné sa démission, Bergeret s’en garda bien et continua à parader dans l’hôtel de la présidence.

Il y jouait au billard, après boire, dans la soirée du dimanche 21 mai, lorsqu’une estafette essoufflée vint lui apprendre que les Versaillais avaient forcé l’entrée de Paris et lui demander du secours, car on n’était point en nombre pour leur résister. Bergeret répondit, entre deux carambolages, qu’il n’avait que 500 hommes autour de lui et qu’il ne pouvait en distraire un seul, car cela suffisait à peine à sa garde. Dans ce temps-là, on disait les gardes de Bergeret, comme jadis on disait les gardes du roi ; car il est à remarquer, une fois de plus, que ces prétendus novateurs se sont servilement astreints à copier les mœurs qu’ils condamnent et à