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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/783

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fit office d’accusateur public, et que les quatre malheureux furent condamnés à mort ; il en est trois dont on n’a jamais connu les noms ; on soupçonne seulement que celui qui portait une redingote était un ouvrier chapelier. — La cour des Tuileries était pleine de fédérés, de femmes, de curieux accourus. On dit que du haut du balcon de la salle des maréchaux, Urbain fit un discours. Des employés de la régie l’ont vu parler et gesticuler, mais n’ont pu l’entendre. Etienne Boudin avait porté la parole contre ces malheureux, il ne voulut laisser à nul autre l’honneur de les faire exécuter. Il les amena, les rangea contre la muraille de la cour, entre la troisième et la quatrième fenêtre à gauche du pavillon de l’Horloge ; il rassembla un peloton de fédérés qu’il divisa en deux sections ; il prit place dans l’espace laissé libre, et, tenant son sabre à deux mains par la poignée et par la pointe, il se prépara à commander le feu. — On avait forcé les deux hommes en blouse blanche, les deux « mouchards, » à s’agenouiller ; l’un d’eux dit ce que Gustave Chaudey devait inutilement dire le lendemain dans le chemin de ronde de Sainte-Pélagie : « J’ai une femme, j’ai des enfans, laissez-moi vivre ! — Etienne Boudin répondit : Non ! — L’homme reprit alors : — Eh bien, tuez-moi, assassins ! Versailles n’est pas loin, et je serai vengé ! » — Un homme de peine employé aux Tuileries a été témoin de l’exécution ; il l’a racontée dans des termes que je ne puis que reproduire, car ils sont d’une vérité saisissante : « Les deux hommes en blouse étaient à genoux ; Koch et l’autre debout ; les deux premiers levaient les mains et criaient : Grâce ! La moitié des gardes nationaux criait également : Grâce ! Mais Etienne Boudin, le sabre en main, cria d’une voix vibrante : Pas de grâce, à mort ! Le premier feu de peloton retentit, et les deux hommes à genoux sont tombés. Alors le jeune homme qui était à côté de M. Koch demanda à trois reprises : — Je suis innocent ; grâce pour mes enfans ! — M. Koch demandait également merci. Quand les fusils furent rechargés, c’est-à-dire une minute après la première décharge, un second feu à volonté, très irrégulier, se fit entendre. M. Koch cherchait à éviter les balles, il se sauvait en arrière, se jetait à droite et à gauche ; mais les gardes nationaux l’atteignirent, et à bout portant l’achevèrent. Alors Boudin fit élargir le cercle autour des quatre victimes et cria : « Vive la commune ! » Un gamin de seize ans, chétif et maigrelet, qui pouvait à peine épauler son fusil, vit un de ces malheureux secoué par l’agonie se convulser en grimaçant, il dit à un de ses camarades : « Regarde donc cet imbécile-là ; est-il farce ! il a l’air de se moquer de nous et de nous rire au nez ; flanque-lui donc un bon coup de fusil par la gueule[1]. »

Du haut du balcon de la salle des maréchaux, Bergeret, Urbain et

  1. Procès E. Boudin ; jugement contradictoire ; 3° conseil de guerre, 16 février 1872.