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quelques-uns de leurs amis avaient assisté à cette exécution, qui commença au moment même ou l’horloge du château sonna le premier coup de six heures. On vit alors, dans ce groupe de spectateurs, un homme agiter un drapeau rouge et on l’entendit crier : « Ainsi périssent tous les traîtres ! vive la commune ! » On croit que cet orateur de l’assassinat était Urbain, On a dit que M. Koch, conduit à l’Hôtel de Ville, avait été condamné à mort par Delescluze, qui l’aurait envoyé à Ferré, afin que celui-ci fît procéder à l’exécution. Ce n’est qu’une fable mal inventée, car c’est précisément le contraire qui est vrai. J’en ai la preuve sous les yeux. Dès que M. Koch eut été arrêté, que l’on sut que, conduit de Damarey à Dardelle, il était dirigé sur l’Hôtel de Ville, quelques-uns de ses voisins partirent en hâte afin de l’arracher aux mauvaises mains qui le tenaient. Après mille efforts et bien des difficultés qui furent longues à vaincre, ils parvinrent enfin à pénétrer auprès de Delescluze. Le délégué civil à la guerre les écouta et, comprenant qu’il y avait la quelque monstrueuse iniquité, leur remit la lettre suivante, écrite tout entière de sa main, pour le délégué à la sûreté générale : « Mon cher Ferré, veuillez faire mettre en liberté le citoyen Koch, pharmacien, qui va ouvrir une ambulance. — Paris, 3 prairial, an LXXIX. Charles Delescluze. » Les amis de M. Koch coururent à la préfecture de police ; Ferré n’y était pas, mais au bas même de la lettre de Delescluze, Albert Regnard, secrétaire général, écrivit : « Ordre de mettre en liberté le citoyen Koch. » Tout cela avait pris du temps ; lorsque l’on arriva aux Tuileries, il était trop tard. — Ce crime appartient exclusivement, absolument à Bergeret et antienne Boudin, qui, voyant un de ces malheureux s’accrocher à ses vêtemens en lui demandant grâce, le frappait sur les mains à coups de pommeau de sabre et lui criait : — A bas les pattes !

M. Spitzer, colonel en retraite, marié à une femme employée à la lingerie du château, où il avait son logement, a suivi du regard toutes les phases de l’exécution. Il dit que Dardelle a fait effort pour s’y opposer. Les employés de la régie ont déclaré que le commandant Madeuf, en apprenant ce quadruple assassinat, s’était écrié : — Ah ! les misérables, qu’ont-ils fait ? — et qu’il avait réquisitionné un omnibus pour enlever les cadavres. Bergeret fut moins ému et n’estima point que cette besogne était trop laide. Comme le soir même, entre huit et neuf heures, il se promenait sous les arcades de la place du Palais-Royal, prenant tranquillement l’air après son dîner, il fut accosté par un médecin du quartier qui lui dit : — Qu’est-ce donc que ces gens que l’on a tués dans la cour du château ? — Bergeret répondit : — Eh bien ? quoi ? c’étaient des traîtres et des Versailleux ; je les ai fait fusiller ; ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient.


MAXIME DU CAMP.