Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/790

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout le chêne, le noyer et l’ébène, elle se sert aussi de toutes les essences d’arbres : thuya, palissandre, amarante, acajou, bois de rose, amboine, citronnier ; et elle y incruste l’ivoire et l’écaille, elle y encastre le cuivre, le bronze doré et le bronze galvanique, elle y applique les mosaïques et les marqueteries nuancées. Or, de cette alliance hybride de formes cinq ou six fois centenaires et de bois qui sont en usage seulement depuis un siècle, il résulte une étrange cacophonie. Jusqu’où va l’imagination torturée des ébénistes d’outre-Manche, on en jugera par ce mobilier complet de style carlovingien, sculpté en chêne blanc et relevé de peintures polychromes. Ne siérait-il pas à merveille à un décor de la Fille de Roland ? Sans doute pour atteindre à l’aspect barbare du modèle rêvé, le sculpteur et le peintre ont rivalisé à qui emploierait le ciseau le plus gauche et le pinceau le plus cru. Voyez encore cet orgue de salon en forme de cathédrale gothique, et ce grand piano à queue, en forme d’hypogée égyptien ! La main-d’œuvre au moins rachète-t-elle les fautes de goût de l’ordonnance ? Les ouvriers anglais excellent dans toutes les parties planes des meubles. Les panneaux lisses et les incrustations de mosaïque, parfois d’un ton trop cru cependant, sont finis avec un soin sans égal. Mais dans les parties en relief ou découpées, les sculptures manquent de fermeté, d’ampleur et de liberté.

Le métal n’est fait ni pour l’architecture, ni pour le mobilier, à moins qu’il ne soit ciselé comme les portes d’un baptistère ou fouillé comme une châsse gothique. Aussi faut-il condamner ces lits, ces chaises, ces armoires, ces fauteuils de cuivre jaune tout reluisant. Les Anglais ont fait du cuivre une meilleure application en l’employant pour les lutrins, les retables et autres meubles d’église. L’orfèvrerie et la joaillerie anglaises sont riches et somptueuses. On n’y ménage ni le métal, ni les pierreries, ni le travail ; les surfaces polies ont même un éclat tout spécial ; mais la légèreté, la délicatesse, la grâce font défaut à ces calices, à ces surtouts, à ces colliers et à ces bracelets. De même c’est la lourdeur et la surcharge d’ornementation qui déparent ces brillantes reliures. Jamais un relieur anglais n’a bien su « pincer un nerf » ou « pousser un filet. » Les produits des fabriques de faïences, de porcelaines et de terres cuites foisonnent. L’industrie céramique anglaise s’inspire avec goût pour les services de luxe des modèles de Rouen et de Moustier, d’Urbino et de Delft, de la Chine et du Japon ; * et c’est par milliers qu’elle jette sur le marché français ces services communs que font rechercher, en dépit d’un décor dur et banal, leur solidité et leur bas prix.

Bien que l’Angleterre ait eu des coloristes, les Reynolds et les Hogarth, les Lawrence et les Turner, la population anglaise n’a