Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jumeaux, ménagés dans le meuble à la. manière de ceux de nos paysans bretons. Ces dressoirs sculptés, ces appliques de faïence, ces collections céramiques, tout cela semble bien un peu luxueux pour des villageois ; mais la Hollande réserve ces surprises. A Brook et dans d’autres petites localités, on est frappé, si on entre dans une maison, de l’air de luxe et de bien-être qui y règne. — La Hollande n’expose pas seulement des costumes nationaux et des intérieurs de chaumières. Regardez ses beaux tapis de genre turc, ses meubles de chêne sculpté et de laque japonaise, ses étoffes et ses faïences, ses cruchons de liqueurs et ses tailleries de diamans. Étudiez surtout les plans graphiques et les modèles en relief denses innombrables et magnifiques travaux d’art, digues, jetées, écluses, barrages, appareils de dessèchement ! Voilà des siècles que les Hollandais ne cessent de livrer bataille à la mer. La terre de Hollande, cette mince pellicule qui semble flotter sur les eaux, est toujours menacée par les revendications terribles de l’Océan ; mais les Hollandais sont là qui domptent le monstre. Les Grecs eussent rangé de tels exploits dans les travaux d’Hercule ; ils eussent célébré par une belle légende cette glorieuse victoire de l’homme sur la mer.


IV

L’exposition française, si riche, si variée, si magnifique, est véritablement hors de pair. Ses tableaux et ses statues l’emportent, souvent par la puissance ou la finesse de l’exécution, toujours par la recherche du grand style, sur les envois des écoles naissantes ou renaissantes de l’Angleterre et de l’Autriche-Hongrie, de l’Espagne et de l’Italie. Et en France l’art industriel tient dignement sa place près de l’art, bien qu’il témoigne de moins d’originalité et de moins d’invention. En effet, l’histoire dira : l’école française du XIXe siècle, ou mieux les écoles françaises du XIXe siècle, comme elle dit : les écoles italiennes de la renaissance, tant on voit à ces deux époques la variété des genres, la multiplicité des créations, et la dissemblance des talens. Ingres, Delacroix, Rude, Decamps, Rousseau, pour ne citer que les morts, ont tous marqué dans leur œuvre leur originalité puissante. Ils sont venus après Raphaël, après Michel-Ange, après Véronèse, après Ruysdaël, après Watteau, et s’ils n’ont point égalé tous ces maîtres, au moins n’ont-ils pas voulu les imiter et ont-ils été, eux aussi, des créateurs. Au contraire, dans l’architecture et dans l’art industriel il n’y a qu’imitation, combinaison, arrangement. Le goût est partout, l’originalité nulle part. Il semble que, pareille à ces terres devenues infécondes parce qu’elles ont trop produit, la France ait perdu, depuis tantôt un siècle, le don de créer des formes.