Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/797

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’impuissance créatrice de la France au XIXe siècle n’a d’égale que sa force dans les siècles précédens. Depuis Louis XII et François Ier, chaque règne a son style propre, absolument différent des autres, et toujours plein de grâce, de caractère ou de magnificence ; Le Henri II n’est déjà plus du François Ier. Le Henri IV prépare la transition entre le style franco-italien de la cour des Valois et le style sévère de Louis XIII ; mais moins capricieux et moins ornementé que celui-là, plus rude et moins élégant que celui-ci, il diffère de l’un et de l’autre. Après la sévérité pittoresque du Louis XIII vient la pompe grandiose du Louis XIV, puis la grâce coquette et charmante du Louis XV, Quelles dissemblances entre les trois styles ! Mais l’invention est sans doute épuisée ? Point. Pour Louis XVI, un nouveau roi, il faut un nouveau style. On redresse les lignes courbes, on remplace les chambranles contournés par les pieds droits rigides, on change en rangées de perles les guirlandes de fleurs, et le Louis XVI est inventé, avec sa sévérité feinte qui est comme la coquetterie de la grâce. Dans le Louis XVI, il y avait une vague aspiration vers l’antique. La révolution et le premier empire réalisent cette aspiration, qui donne encore un nouveau style, le style néo-grec. En trois siècles, en dix règnes, voici huit styles différens, depuis le style Henri II jusqu’au style Empire. Mais que de vaches maigres après ces vaches grasses ! Où est le style restauration ? où le style Louis-Philippe ? où le style Napoléon III ? où le style de la troisième république ? En architecture, il y a les Halles centrales et certaines gares de chemin de fer, car nous ne voulons pas parler du nouvel Opéra, beau monument, mais qui est de tous les styles, et encore moins du prétendu palais du Trocadéro, qui n’est d’aucun style et qui n’a aucun style. — Un hémicycle d’arène gréco-romaine, qui, flanqué de deux tours quadrangulaires décorées à l’arabe, a pour centre une abside à hautes arcades en plein cintre et à baies pseudo-gothiques en arcatures ! — En meubles, il y a des lits et des armoires à glace plaqués d’acajou et de palissandre, et des « poufs, » des « coins-de-feu, » des chaises longues et autres meubles capitonnés, c’est-à-dire informes, puisque le recouvrement d’étoffes est la négation de la forme et du profil.

Fort heureusement, l’ameublement français semble avoir renoncé à ce genre abominable. Reconnaissant son impuissance à faire du nouveau, il fait de l’ancien, mais il tâche à le faire avec le plus de soin possible ; ne pouvant créer, il choisit de beaux modèles, et il les imite avec goût. Osons le dire, souvent la copie vaut l’original pour l’exécution. C’est à toutes les époques d’épanouissement de l’art industriel français et italien que l’ébémsterie contemporaine emprunte ses modèles ; mais elle s’inspire surtout de la renaissance et du XVIIIe siècle. Parmi les meubles des époques de François Ier